lundi 18 novembre 2013

Samba Guéladiodiégui:La légende

 La Geste de Samba Guéladio Diégui » est un récit épique fort connu au Sénégal, qui figure d’ailleurs dans l’« Anthologie nègre » de Blaise Cendrars. Nous en reproduisons ici la version écrite, suivie d’un commentaire qu’a bien voulu rédiger pour « Ethiopiques » Mame Kouna Sène, professeur au « Centre d’Etudes des Civilisations » de Dakar. L’Anthologie nègre de Blaise Cendrars a été publiée pour la première fois vers les années 20. Cendrars en parle comme d’un « ouvrage de compilation » et cite fidèlement les ouvrages compulsés dont les « Contes indigènes de de l’Ouest Africain français » (Paris 1913) F .V .Equilbecq. Cette version de la légende de Samba Guéladio Diégui est donc celle que l’administrateur des colonies Equilbecq a recueillie à Yang Yang en 1904, auprès de Boubacar Mahmoudou.
Voici l’histoire de Samba Guélâdio Diêgui, prince peulh du Fouta
Samba Guélâdio Diêgui était fils unique de Guélâdio, roi du Fouta. Comme Samba arrivait à l’adolescence, son père mourut. Le frère du roi défunt Fonkobo Moussa, prit le commandement du pays. Quand ils furent devenus grands, il annonça qu’il allait leur partager le Fouta et, en effet, chacun d’eux en reçut sa part.
Samba était resté avec sa mère, son griot nommé Sêvi Malallaya et un captif qui s’appelait Doungourou.
Le griot Sêvi vint trouver Samba.
Il pleurait :
- Pourquoi pleures-tu ? lui demanda Samba.
- Voici pourquoi, répondit le griot, ton oncle Konkobo a partagé le Fouta entre ses garçons. Et comme ton père n’est plus là, Konkobo n’a pas gardé de part pour toi.
Samba s’est levé aussitôt. Il est allé trouver son oncle et lui a dit :
- Eh bien, mon papa, où donc est ma part ?
- Je vais te donner quelque chose à toi aussi, a répondu Konkobo. Le premier cheval que tu rencontreras dans le Fouta, prends-le : il est à toi.
Samba s’en est retourné. Il est allé à son griot et lui a dit :
- Mon papa m’a donné ma part à moi aussi !
- Et que t’a-t-il donné ?
- Il m’a donné la permission de prendre le premier bon cheval que je rencontrerais.
- Mais ce n’est rien ce qu’il te donne ! Il agit mal envers toi !
Samba est revenu trouver son oncle Konkobo :
- Mon papa, lui dit-il, je n’ai pas besoin de ton cadeau. Ce n’est pas cela qu’il me faut. Donne-moi ce qui me revient ; je ne te demande pas autre chose.
- J’ai vu, répond Konkobo, un taureau superbe, dans le Fouta. J’y ai vu aussi une femme jolie. Prends l’un et l’autre. Je te les donne.
- Samba est encore allé à Sêvi, le griot :
- Eh bien ! lui-a-il dit, mon papa m’a donné une jolie femme du Fouta et un bœuf. Tout cela, je puis le prendre s’il me plaît de le faire.
- ça ne vaut rien ! a répondu le griot ; c’est comme ce qu’il t’avait donné auparavant. Si tu rencontres une jolie femme qui soit mariée et que tu la prennes, son mari te tuera. Tu n’es qu’un enfant et tu ne connais rien.
Samba est revenu une fois encore.
- Eh bien ! mon papa, a-t-il dit, je n’ai pas besoin de ce que tu m’offres. C’est ma part du Fouta que je veux !
- S’il te la faut, répond Konkobo, arrange-toi pour la prendre. Sinon, tant pis pour toi.
Samba s’en est allé. Il (selle sa jument Oumoullâtôma. Il s’est mis en route avec son griot Sêvi Malallaya, son captif Doungourou, sa mère et des captifs destinés à sa femme. A ce moment, il n’était pas encore marié. Il a dit :
- Maintenant, je m’en vais du Fouta.

Il est allé jusqu’à un village qui s’appelle Tiabo. C’est tout près de Bakel. Il a fait appeler le roi de ce pays :
-Tounka, lui dit-il, je te confie ma mère et la mère de mon griot. Il faudra que tu pourvoies à leurs besoins et à ceux de mes gens jusqu’à mon retour. Procure-leur de la nourriture et des vêtements. Loge-les bien, donne-leur de bonnes cases. Sinon, quand je reviendrai, si j’apprenais qu’ils ont manqué de vêtements et de vivres, je te couperais la tête.
Après cela, Samba et son griot ont passé le fleuve sans plus tarder. Ils se sont dirigés vers le pays dont le roi s’appelle Ellel Bildikry pour demander à ce dernier des guerriers et attaquer Konkobo Moussa, son oncle.
Ils ont marché pendant quarante cinq jours dans la brousse avant d’atteindre le pays des Peulhs. J’ai oublié le nom du roi de ce pays. Dès qu’il a vu Samba, il a dit :
- voilà un bon garçon, sûrement c’est un fils de roi.
Il a fait abattre des bœufs et égorger des moutons et en a fait présent à Samba en disant :
-Tout cela, c’est pour toi. Il a fait appeler ses filles et leur a dit :
- allez trouver Samba qui doit partir demain. Allez causer avec lui et le distraire.
Les jeunes Peulhes sont restées près de Samba. Elles s’amusent avec lui. Puis elles l’ont quitté
- Il fait trop chaud, ont-elles dit, nous allons nous baigner.
Quand elles ont été parties, Samba s’est étendu sur le lit pour dormir. Une des jeunes filles avait ôté son collier d’or et, en partant, avait oublié de le reprendre. Une autruche est entrée dans la case, pendant le sommeil de Samba, elle a avalé le collier d’or.
Les jeunes filles reviennent et réveillent Samba :
- J’ai oublié mon collier d’or tout à l’heure, dit l’une d’elles, où donc est-il ?
On le cherche et on ne trouve rien.
- Oh ! dit Samba, penses-tu que je t’ai volé ton collier ?
- Non, répond la jeune fille, mais enfin je suis partie la dernière et il n’y avait que nous deux dans cette case.
- C’est bien ! murmure Samba. La jeune fille est partie trouver son père :
- J’avais laissé mon collier d’or chez cet homme qui est venu ici, lui dit-elle, et maintenant plus moyen de le retrouver.
- Crois-tu que ce soit lui qui te l’a pris ? demande le roi.
- Je n’en sais rien. Il n’y avait que nous deux dans la case.
Le roi n’a pas dit ce qu’il pensait de cela. Il a seulement invité sa fille retourner près de Samba.
Pendant ce temps, Samba avait examiné le sol. "Il a aperçu l’empreinte des pattes de l’autruche. Il est alors allé trouver le roi, laissant la jeune fille dans la case :
- Je te donnerai une calebasse pleine d’or, a-t-il dit, si tu veux me vendre ton autruche.
- Tu peux la prendre, répond le roi. C’est entendu.
Samba a fait aussitôt appeler des hommes et leur a donné l’ordre de tuer l’autruche :
- Quand vous l’aurez tuée, leur recommande-t-il, videz-là et apportez-moi ce que vous trouverez dans son corps.
Les hommes ont obéi et sont venus trouver Samba en présence de la fille du roi. Dans l’estomac de l’oiseau était le collier d’or.
- Tu m’as accusé du vol du collier, dit Samba à la jeune fille. Je vais te faire attacher ! Et le roi l’a laissé libre d’agir comme il l’entendrait.
Mais Sêvi, le griot, intervient :
- Tu as tort d’agir ainsi, Samba. Nous avons quitté notre pays pour venir dans celui-ci et nous ne sommes que cinq. Si tu veux en faire à ta tête, il ne nous arrivera rien de bon. Laisse la fille du roi et garde-toi bien de la faire attacher. Samba a écouté le conseil de son griot. Et le lendemain, ils se sont remis en route vers le royaume d’Ellel Bildikry.

Ils ont marché quinze jours encore, en pleine brousse, et l’eau est venue à manquer.
- Samba, dit le griot, je ne peux plus avancer ; je vais mourir ! Samba a conduit Sêvi à l’ombre d’un arbre et lui a dit ainsi qu’à Doungourou, son captif :
- Attendez-moi ici. Il est parti sur Oumoullatôma, sa jument. Il a continué son chemin pendant deux heures et est enfin arrivé à une mare.
Là, il a aperçu un guinnârou de très haute taille en train de se baigner.
Le guinnârou se tourne vers lui et de toutes les parties de son corps jaillit du feu. Samba ne s’effraie pas, il le regarde bien en face.
Alors le guinnârou se fait grand jusqu’à toucher le ciel de sa tête.
- Que fais-tu là ? lui demande tranquillement Samba. Tu veux voir si j’aurais peur de toi ?
Le guinnârou devient plus petit :
- Jamais, dit-il, je n’ai vu d’homme si brave que toi. Eh bien ! je vais te donner quelque chose, et il lui tend un fusil :
-Samba, demande-t-il, sais-tu le nom de ce fusil-là.
- Non, répond Samba, je ne le connais pas.
- Son nom est Boussalarbi, reprend le guinnârou. Il te suffira de le sortir de son fourreau pour que ton adversaire tombe mort. Samba enlève sa peau de bouc de ses épaules. Il entre dans la mare pour puiser de l’eau et quand l’outre est remplie, il la place sur sa jument :
- Bon, se dit-il, je vais me rendre compte si ce que m’a dit le guinnârou est ou non la vérité.
Il sort le fusil du fourreau et le guinnârou tombe mort.
Ceci fait, Samba retourne à l’endroit où il a laissé ses gens, et trouve son père le griot qui chantait les louanges de Samba. Il lui fit boire de l’eau ainsi qu’à son captif. Le griot lui dit alors :
- Eh bien ! Samba, qu’est-ce que ce coup de fusil que j’ai entendu au loin ?
- C’est moi qui l’ai tiré, répondit Samba. Et il lui raconte l’aventure du guinnârou, et ce qu’il a fait de celui-ci :
- C’est mal, répond le griot, c’est très mal ce que tu as fait là ! Quelqu’un qui te fait un tel cadeau, tu vas le tuer. Tu as agi injustement.
- J’ai bien fait, répliqua Samba. Puisque je suis passé par ici, il pourrait en passer d’autres encore. Il n’ya pas que moi qui sois fils de roi, et le Fouta compte beaucoup de fils de rois, et il y en a beaucoup de braves dans le nombre. Tous sont aussi hardis que moi. Aujourd’hui, le guinnârou m’a donné ce fusil et demain il aurait fait un semblable présent à quelque autre. Il a fini de faire des cadeaux désormais. Personne ne possédera un fusil semblable au mien. Je suis le seul à en avoir un si merveilleux Après cela, ils se sont décidés à aller plus loin. Au bout de quelques jours, ils arrivent à la capitale du pays d’Ellel Bildikry. C’est une ville plus vaste que Saint-Louis. Depuis près d’un an, on n’y avait pas bu d’eau fraîche. Un grand caïman se tenant dans le fleuve et empêchait les habitants d’y puiser de l’eau. Chaque année, on livrait une jeune fille bien vêtue, avec des bijoux d’or aux oreilles, des bracelets aux poignets et aux jambes, aussi parée en un mot qu’une fille de roi. Le caïman était très exigeant et s’il ne la trouvait pas assez bien vêtue, il refusait l’offrande et leur interdisait de renouveler leur provision d’eau annuelle.
Au moment de l’arrivée de Samba, on était au dernier jour de l’année et les habitants se disposaient à livrer le lendemain une jeune fille au caïman Niabardi Dallo.
Samba s’arrête vers minuit devant une case de captifs qui se trouvait un peu à l’écart du village. Il appelle la captive qui était dans la case en lui disant :
- Donne-moi de l’eau, car j’ai soif. La captive rentre chez elle. Il y avait dans son canari de quoi remplir tout au plus un verre d’eau et cette eau était corrompue. Elle l’apporte néanmoins à Samba.

Celui-ci prend l’eau et la flaire et lui trouvant une mauvaise odeur, il frappe la femme qui tombe à terre quelques pas plus loin :
- Comment, s’écrie t-il, je te demande de l’eau et c’est une telle saleté que tu m’apportes !
- Oh ! Mon ami, répond la femme, il n’y a plus d’eau dans le pays. Avant d’en avoir de nouvelle, il nous faut sacrifier une fille de roi.
- Eh bien, va, ordonne Samba. Montre-moi le chemin du fleuve
Je vais aller abreuver ma jument sur-le-champ !
La captive s’effraie :
- j’ai peur d’aller au fleuve, dit-elle. Demain, le roi verrait la trace de mes pas sur la route, et il me demanderait :
« Pourquoi y es-tu allée, puisque je l’ai défendu à tous ? ».
Samba se fâche :
- Si tu refuses de me conduire, menace-t-il, tu vas périr de ma main ! Prends le licol, Doungourou, et passe-le au cou d’Oumoullatôma.
- Et toi, femme, marche devant moi.
Le captif se met en marche, menant après lui la jument. La femme leur montre le chemin :
- Il mène tout droit au fleuve, dit-elle.
Samba, qui a pitié de sa frayeur, la remercie et la laisse s’en retourner.
Samba a marché jusqu’à ce qu’il arrive au fleuve. Il ordonne à son captif de se déshabiller et d’entrer dans le fleuve avec la jument pour la baigner. Le captif se dépouille de ses vêtements et entre dans l’eau. Et, aussitôt, du milieu du fleuve, Niabardi Dalla, le caïman, les interpelle :
- Qui va là ? Crie-t-il.
- C’est un nouvel arrivé, lui répond Samba.
- Eh bien, le nouvel arrivé, que viens-tu faire ici ?
- Je viens boire !
- Si tu viens pour boire, bois seul et ne fais pas boire ton cheval !
- Le nouvel arrivé va abreuver sa jument ! réplique Samba. Il va boire aussi et avec lui son captif. Rentre dans le fleuve, Doungourou.
Le captif obéit. La jument gratte l’eau avec son pied
- Eh bien ! le nouvel arrivé, tu m’agaces, sache-le !
Niabardi se dresse au milieu du fleuve et toute l’eau brille comme du feu.
- Si tu as peur de ce que tu vois, crie Samba à Doungourou, et que tu lâches ma jument, je te tue en même temps que le caïman ! Après ces paroles, le captif tient ferme la jument. Le caïman vient à lui, les mâchoires grandes ouvertes, l’une en bas, l’autre en haut et, de sa gueule, le feu sort en abondance. Quand il est tout près, Samba tire sur lui. Le caïman est mort et le fleuve tout entier devient couleur de sang.
- Où as- tu pu te procurer tant d’eau ? leur demande-t-elle. Et Samba :
- Tu as la langue trop longue. Puisqu’on te donne de l’eau, tu n’as qu’à boire, sans te préoccuper d’où elle vient !

Après avoir tué le caïman Samba en avait découpé un lambeau et l’avait emporté avec lui. Il avait aussi laissé à l’endroit du combat ses bracelets et une de ses sandales, car il savait bien qu’il n’y aurait personne capable de chausser sa sandale ou de s’orner les chevilles et les poignets avec ses bracelets. Samba a les pieds très petits.
Le lendemain, le roi Ellel Bildikry a convoqué tous les griots pour sortir du village et emmener la jeune fille au caïman qui permettra aux habitants de s’approvisionner d’eau.
On est allé chercher la jeune vierge et on l’a placée sur un cheval. Tous les griots la suivent en chantant :
- Ah Jeune fille, disent-ils, tu es pleine de courage. Le caïman a mangé ta grande sœur. Il a mangé ton autre sœur aussi et tu n’as pas peur de lui. Nous allons avoir de l’eau.
- Les griots chantent ainsi. Ils disent les cent victimes que le caïman a dévorées. Les voici tout près du fleuve. Ils font descendre la jeune vierge. Les autres fois, la jeune fille s’avançait assez loin dans l’eau, puis le caïman venait la happer. Celle d’aujourd’hui entre dans le fleuve et va jusqu’à ce qu’elle ait de l’eau à la hauteur de la poitrine. Elle grimpe sur la tête du caïman et s’y tient debout.
- Le caïman est là, dit-elle, et je suis sur sa tête.
Et les gens ont dit :
- Le caïman est irrité. Tu as eu des relations avec un homme. Tu n’es plus vierge ! Oh quel malheur ! C’est un jour maudit pour nous que celui-ci. Tu es une fille indigne !
Et aussitôt, ils sont allés chercher une autre jeune fille. La première, cependant, se défend avec indignation :
- Vous mentez, dit-elle. Depuis que je suis née, aucun homme ne m’a touchée ! Jamais je n’ai partagé le lit d’un homme !
L’autre jeune fille a consenti à être sacrifiée au caïman :
- J ’y vais ! a-t-elle répondu !
Elle est venue. Elle aussi est montée à côté de l’autre. Toutes deux maintenant, elles se tiennent sur la tête du caïman. Et son père s’écrit :
- Le caïman est mort !
- Que tout le monde entre dans le fleuve ! Permet alors le roi. Nous allons voir si c’est vrai ou non. Tout le monde est entré et on s’est rendu compte qu’il était vraiment mort.
- Eh bien ! dit le roi, le premier qui dira qu’il a tué le caïman, s’il peut en donner la preuve, aura de moi tout ce qu’il demandera.
Ils sont là, un tas de menteurs, qui crient :
_ C’est moi qui l’ai tué !
- C’est moi qui suis venu hier soir ici !
- Le caïman voulait me manger, je l’ai tué !
Chacun raconte son histoire pour persuader le roi qu’il est le vainqueur du caïman et gagner une récompense.
Un captif qui se trouve là a ramassé les bracelets et la sandale :
- Voilà les bracelets du vainqueur, dit-il, et voilà sa sandale : c’est celui à qui tout cela appartient qui a tué le caïman.
- C’est bien, a décidé le roi, celui qui pourra mettre ces bracelets et chausser cette sandale, à qui ils ne seront ni trop grands, ni trop petits, c’est celui-là qui a tué le caïman. Ce sera lui qui recevra la récompense !
Chacun est venu, pour tenter l’épreuve. Mais personne ne peut réussir. La captive s’est alors avancée :
- Il y a un nouveau venu ici, dit-elle. Il est descendu dans ma case. A son arrivée, il m’a demandé de l’eau. Je lui ai donné de l’eau est corrompue, la seule que j’avais.
Quand je la lui ai donnée, il m’a frappée. Ensuite, il est parti et est resté dehors trois heures de temps.
et lorsqu’il est revenu, il m’a donné de la bonne eau. Il n’y a qu’à l’appeler pour voir. Pour moi, je suis sûre que c’est lui qui a tué le caïman.
Alors le roi a envoyé des hommes chercher le nouveau venu :
- Qu’on me fasse venir cet étranger, dit-il. Vous lui ferez savoir que c’est le roi qui le demande.
Les envoyés de l’almamy vont à la case. Ils ont trouvé Samba couché. Ils lui donnent une tape pour le réveiller. Samba, furieux d’être troublé dans son sommeil, leur allonge un coup de pied.
Alors, le roi envoie un autre homme pour tenter de le réveiller.
- Laisse-moi dormir, jusqu’à ce que j’aie fini, lui crie Samba. Si on m’envoie encore quelqu’un, je le tuerai !
L’envoyé revient. Il raconte la chose au roi.
- C’est bien ! Décide-t-il, je vais rester jusqu’à ce qu’il ait fini son sommeil.
Ils ont attendu deux heures de temps. Samba se réveille enfin. Il vient au fleuve.
Il salue le roi et le roi répond à son salut. Puis, il lui offre une place près de lui et l’invite à se reposer. Puis, prenant les bracelets et la sandale et les lui montrant :
- Est-ce à toi, tout cela ? Lui demande-t-il. Samba sort alors de sa poche l’autre sandale et se chausse les deux pieds. .. Eh bien ! dit le roi, tu vas venir loger chez moi. Et il lui donne une grande case, très haute, un vrai palais.

Le roi envoie des hommes chercher les bagages de Samba, amener ses captifs et sa jument. Tous sont installés dans le carré du roi. On tue des moutons en quantité, Samba reste deux mois près de lui et, tout ce temps-là, Samba avait sans cesse des jeunes filles chez lui. Au bout de ce temps, le roi a fait appeler son hôte :
- Dans quelle intention es-tu venu dans ce pays ? De quoi as-tu besoin ?
Et Samba a répondu :
- Je n’ai besoin que de guerriers !
Ellel Bildikry a mandé tous ses notables et leur a dit :
- Le vainqueur du caïman nous demande de lui donner des guerriers.
- Aller jusque dans le Fouta ! Ont protesté les notables. Comment pourrions-nous le faire ?
- Cet homme, répartit le roi, est bien venu du Fouta jusqu’ici ! Il est arrivé ici. Depuis un an, nous ne pouvions renouveler notre eau. Il a tué celui qui nous empêchait de boire et, pour récompense, il ne nous demande que des guerriers. Il n’y a pas moyen de les lui refuser !
- Eh bien ! Ont déclaré les notables, voilà ce que nous allons faire. Il y a un roi qui s’appelle Birama N’Gourôri. Qu’on envoie vers lui Samba Guélâdio Diêgui pour qu’il enlève les troupeaux de ce roi et nous en fasse présent. Alors, nous lui confierons des guerriers et nous irons avec lui dans son pays pour batailler.
Ce qu’ils conseillaient n’avait pour but que de se défaire de Samba par de fausses promesses. Ils comptaient bien qu’il perdrait la vie dans sa lutte contre Birama N’Gourôri, car ce roi-là, il est très fort.
Pour parvenir tout là-bas jusqu’au pays de Birama N’Gourôri, il faut à Samba traverser au moins dix-huit marigots et entre chacun de ces marigots, il y a huit jours de marche et même plus. Le troupeau de Birama est gardé par trois cents bergers vêtus les uns et les autres de boubous et de pantalons rouges , coiffés de bonnets rouges, bottés de rouge aussi et montés sur des chevaux de chef, des chevaux blancs.
Après avoir passé les marigots, Samba vient aux bergers :
- Je vais vous prendre vos bœufs ! leur déclare-il.
- Tu es fou, lui ont-ils répondu. Avant de prendre les bœufs, il faudrait que tu nous tues tous !
- Allons ! ordonne Samba, marchez devant moi et menez les bœufs où je vous conduirai !
Les bergers refusent de lui obéir.
Ils tombent sur Samba, lance au poing. Ils portent des coups à Samba, mais les lances ne pénètrent pas, car il a de trop bons gris-gris.
Et c’est lui qui les a tous tués, tous à l’exception d’un seul.
Samba a fait prisonnier celui qu’il veut épargner. Il lui coupe les oreilles, puis lui dit : Va-t-en trouver Birama N’Courôri et raconte-lui que je lui ai pris ses bœufs.
L’homme est parti. Il arrive à la grande case de Birama. Le premier à qui il demande d’aller annoncer le massacre des bergers et le rapt des bœufs lui répond nettement :
- Non ! Je ne veux pas y aller !
Ce jours- là, Birama dormait encore. Une de ses femmes, qui était en train de faire arranger sa tête à la façon des Peulhes :
- Comment pourrez-vous annoncer une telle nouvelle à Birama ? a-t-elle demandé. Et les autres ont conseillé d’appeler tous les griots avec leurs r’halem
Les femmes sont venues près de celle-ci et de sa sœur. Elles ont préparé le mafélâlo avec des feuilles d’arbre. Une fois prêt, elles sont allées le déposer doucement à côté de Birama endormi. Puis elles ont recueilli du hamond sur les arbustes .Le hamond est une gomme parfumée que les wolofs appellent homoguêné ou thiouraye. La fumée a retombé sur Birama et Birama s’est réveillé.
Il voit les griots, tous avec leurs violons qui font de la musique :
- Qu’a-t-il ? Qu’est ce que ça veut dire ? Telles sont les paroles à son réveil. Un homme s’avance en tremblant :
- Il y’a un peulh qui est venu à tes bergers. Il voulait prendre tes bœufs ...
Il n’a pas achevé que Birama le tue.
- Allah lui- même, crie-t-il avec colère ne pourra me les dérober !
Un autre homme s’est approché et raconte ce qui s’est passé. Birama le tue aussi. Il en a tué trois de cette façon. Tous se sauvent.
Alors entre la sœur de Birama apportant du lait caillé. Elle le pose devant lui en lui disant :
- Voilà ce que tu es réduit à manger désormais puisque le Peulh s’est emparé de tes bœufs. On ne peut plus te donner autre chose.
Le roi Birama a enfourché son cheval Golo, l’alezan. Il chevauche plein de fureur et derrière le village il a atteint Samba Guélâdio.
Celui-ci fait arrêter le troupeau et attend tranquillement Birama.
- C’est toi qui est venu voler mes bœufs ?
- Oui, c’est moi. Mais je vais t’en laisser quelques uns si cela peut te faire plaisir. Quant au reste, je le garde pour moi.
- Tu pourras le faire peut-être, dit Birama, mais il te faudra me tuer.
Samba a sorti sa pipe. Il bat le briquet, l’allume et fume quelques bouffées. Ceci fait :
- Eh bien ! dit-t-il à Birama, à ton aise. Décide comme il te plaira. C’est ainsi qu’il a parlé au roi.
Le Birama pousse fermement sa lance contre Samba. La lance se casse net en deux morceaux. Il en saisit vivement une autre lance et frappe de nouveau. Il a frappé de toutes ses lances jusqu’à ce qu’il ne lui en reste plus une seule intacte. Alors Samba frappe à son tour. Sa lance se brise elle aussi.
Alors, il a sauté sur sa jument et tous les deux combattent à cheval et au-dessous d’eux les chevaux s’entre-déchirent et se battent furieusement. Enfin, Samba l’emporte et Birama s’enfuit.
Les voilà au tata de Birama. Ce tata comprend au moins huit enceintes, chacune ayant sa porte. Quant Birama se présente à la première, ses hommes le laissent passer et font feu sur Samba. Tant que la fumée des coups de fusil ne s’est pas dissipée, les hommes croient que Samba est tombé. Mais il n’en est rien, ils le voient toujours à la poursuite de leur roi.
Et à chaque porte le même fait se produit jusqu’à ce que Samba et Birama soient arrivés au milieu des cases.
Alors, Samba a cessé la poursuite :
- Si ce n’était ta sœur qui te protége, je te tuerai ! dit-il au chef, mais je suis son naoulé (congénère) et je puis refuser sa demande à elle qui ne m’a pas offensé. Il retourne au troupeau, en sépare trois cent bœufs en disant :
- C’est un cadeau que je fais à Birama et à sa sœur.
Il lui en restait autant comme au prix de sa victoire sur Birama N’Gourôri.
-Tu es un peulh comme moi, je ne veux pas que tu sois réduit à te nourrir de lait caillé.
Et il est parti avec ce qu’il avait gardé du troupeau.
Il arrive chez Ellel Bildikry
- Voilà les bœufs de Birama N’Gourôri, dit-il.
- C’est bien, répond le roi.
Les notables sont venus trouver ce dernier.- Cet homme est venu ici, lui disent-ils, il a tué Niabardi Dallo et de plus il a réussi à s’emparer des troupeaux de Birama ! Nos Grand’mères disaient que personne n’avait pu parvenir à les prendre, et lui, il a pu le faire ! Si nous partons en guerre avec lui , il nous fera tous périr !
- Vous êtes forcés de me fournir des guerriers maintenant, leur dit Samba.

Et les femmes du pays se sont écriées :
- Puisque nos maris ont peur de t’accompagner, c’est nous qui irons avec toi, nous les femmes !
Ellel Bildikry fait appeler Samba et lui promet des hommes pour dans quelques jours.
Le village a quatre portes. Ellel Bildikry ordonne qu’on coupe de gros troncs d’arbres.
On les emploiera comme des marches d’escaliers. Quand le bois aura été haché par les pieds des chevaux, le nombre de cavaliers sera jugé suffisant.
De chaque estrade, Samba a vu pendant plusieurs jours défiler chevaux et cavaliers.
Enfin, il se déclare satisfait.
- Aux fantassins de sortir maintenant ! dit-il. Et cependant, quelques jours encore il assiste à la sortie des fantassins :
- Cela me suffit, dit-il. Nous n’avons plus qu’à partir.
Alors Samba se met en route pour le Fouta. Quand il en est tout près il ordonne à ses colonnes de poursuivre leur marche et de se diriger du côté de N’Guiguilone en suivant la rive du fleuve. Samba va voir sa mère qu’il a confiée au Tounka.
La colonne compte beaucoup de chevaux. Le jour où Samba l’a quittée pour aller à Tiyabo, dans le Fouta Tounka s’est dit : « Samba s’est sûrement perdu dans la brousse ».
Et, ne le craignant plus, il a expulsé du village la mère de Samba et les captifs de celui-ci.
Les captifs ont pris un pagne et ont fait une sorte de toiture comme dans les tentes des Maures et la mère de Samba s’est placée sous ce pagne pour s’abriter du soleil. Puis, ils se sont dispersés dans la brousse pour y chercher un peu de mil et chaque fois qu’ils voyaient un homme emporter sa récolte, ils le suivaient pour ramasser ce qui en pourrait tomber. Ils sont revenus avec le peu qu’ils avaient pu trouver : ils en ont fait un mauvais couscous et l’ont donné à la mère de leur maître pour la nourrir après y avoir ajouté des feuilles d’arbres cuites.
Il était à peu près deux heures. Quelques captifs étaient restés à côté de la mère de Samba. Tout à coup, ils entendent un griot. Il crie :
- Ouldoy Guélâdio Diégui ! Ce qui signifie :
- J’ai peur de Samba, je le respecte comme mon maître. Sa voix est haute et claire. _- C’est celle de Sêvi. Sûrement voilà Samba qui vient. Les captifs crient :
- C’est un bambado qu’on entend. Sans doute Samba va arriver ! Et la mère de Sêvi di : - Mais oui, il me semble bien que c’est mon fils qui chante ainsi ! Mais la mère de Samba lui répond tristement :
- Le griot est fou de chanter ainsi, car mon fils est perdu. Jamais plus je ne reverrai mon garçon. Mais aussitôt, la jument de Samba est arrivée au fleuve et Samba traverse l’eau, monté sur Oumoullatôma.
Et le Tounka dit à ses hommes :
- Quand Samba va me demander, dites-lui que je suis mort depuis longtemps.
Samba maintenant est près de sa mère. Il la trouve à l’écart du village.
- Que veut dire cela ? lui a-t-il demandé. Et sa mère lui répond :
- Voilà, mon garçon, comme le Tounka nous a traités depuis ton départ.
- C’est bien ! dit seulement Samba. Il va jusqu’à la maison du Tounka. Il demande aux gens :
- Où donc est le Tounka !
- Qu’on aille me le chercher ;
- Le Tounka est mort depuis longtemps. _- Menez-moi à sa tombe. Fût-il mort, j’allumerai du feu pour le brûler !
On l’a mené un peu plus loin :
- Voilà où le Tounka est enterré !
Samba appelle des hommes, fait creuser à l’endroit indiqué et on ne trouve rien.
- Sortez-le de sa case, ordonne t-il. Il me le faut.
Il a traîné le Tounka jusqu’au milieu du village. Lui était resté sur sa jument. Il prend une branche et tendant le bras :
- Entassez, dit-il, les bijoux, l’or, les pendals et les pièces deguinéesjusqu’à ce que le tas vienne à hauteur de ma main.
On a commencé à mettre en tas l’or, les pendals et les pièces de guinées. Quand le tas a atteint une hauteur d’un mètre, Sêvi saute de son cheval sur le tas. Il écrase les pagnes et dit :
- Ce n’est pas assez haut, ajoutez-en toujours !
On en rapporte encore et Sêvi recommence à aplatir le monceau jusqu’à ce que Samba ait dit :
- Cela suffit !
Samba, ensuite, s’adresse au Tounka :
- Une autre fois, si je laisse ma mère chez toi, rappelle-toi ce que j’ai fait ou attends-toi à ce que je recommence !
Il prend avec lui les pagnes, les étoffes et l’or et les donne à sa mère et à ses gens. Puis, il se remet en route.
Il est allé jusqu’à Ouahouldé dans le Fouta. Il passe et continue sa route jusqu’à ce qu’il retrouve ses colonnes à N’Cuiguilone. De là, il envoie un messager à son oncle Konkobo pour lui dire de se tenir prêt et qu’ils vont se battre à Bilbaci. Il se porte lui-même en avant de N’Cuiguilone.

A ce moment, son oncle était à Sâdel, près de Kayaêdi. Samba va le trouver et voit que Konkobo l’attend avec son armée. Dans ce temps là, avant la bataille, on faisait un grand tam-tam et le tama de guerre qui servait aux griots s’appelait Alamari et la danse qu’on dansait n’était permise qu’aux bons garçons qui n’ont pas peur. On appelait aussi la danse Alamari, et elle se dansait la lance au poing.
Le tambour dont je parle était couvert avec la peau d’une jeune fille. De la place où il était, Samba entend le tumulte du tam-tam :
- Eh bien, dit-il, je veux aller aussi là-bas ! Je veux danser Alamari !
Son griot, qui s’appelle Sêvi Mallalaya, lui demande :
- Es-tu fou ? Tu dois rester ici jusqu’à demain.
Et Samba lui répond :
- Dis ce que tu voudras, je m’en moque ! J’irai.
Samba traverse le fleuve. Il est ailé jusqu’au tam-tam et il est entré dans le cercle des assistants. Il se couvre la tête de son pagne, s’en voile la figure. Il vient danser, la lance au poing
Et chacun se dit :
- Mais c’est Samba Guélâdio Diêgui !
Lui ne souffle mot. Le voilà dans le tam-tam. Il appelle ses cousins, les fils de Konkobo Moussa et leur dit :
- Venez ! entrons dans la case de votre père. Nous allons causer ensemble.
Il y a là un captif du nom de Mahoudé Gâlé qui a mal à l’œil. Son fils lui demande :
- Mon papa, comment voulez-vous combattre demain dans cet état ?
- Apporte-moi un kilo de piment, répond le père. Il s’applique le piment sur l’œil malade et l’y maintient avec un bandeau. Puis il reste couché et quand il enlève le bandeau, son œil est rouge comme le feu, et il dit :
- Quand la colonne de Samba verra un homme avec un œil aussi rouge, elle prendra la fuite de terreur.
A six heures du matin, les colonnes de Samba et celles de Konkobo ont commencé la bataille. Samba était resté couché dans la case de Konkobo Moussa. Il avait passé la nuit à blaguer avec ses cousins jusqu’à ce que le soleil se lève. A ce moment, il leur dit :
- Apportez-moi de l’eau, que je me débarbouille.
Et cela, il le dit devant beaucoup de monde. Puis il prend sa lance et sort du village. Il traverse les colonnes de Konkobo Moussa. Et le voilà qui se dirige ; voilà qu’il les atteint.
Il trouve sa jument où il l’a laissée, attachée au piquet. Il ordonne de la seller et son captif la selle. Il l’enfourche et part au galop. Il pénètre dans les colonnes de Konkobo
Il sort son fusil Boussalarbi du fourreau et, de chaque coup, il tue au moins cinquante guerriers.
- Comment ! se disent les soldats de Konkobo, nous croyions que dès le début de la bataille les colonnes de Samba allaient prendre la fuite, et pas du tout, elles tiennent encore bon.
Alors découragés, ils abandonnent leur chef. Il faut voir comme ils décampent ! Mais Konkobo n’est pas de ceux qui fuient. Quand son cheval est tombé mort, il a pris de la terre et il en a rempli sa seroualla (pantalon). S’il voulait se sauver, il ne le pourrait pas, car la terre est trop lourde.
Samba tue tout ce qu’il trouve devant lui. Et le voici en face de Konkobo debout près de son cheval mort !
- Eh bien, mon papa, demande t-il qu’est-ce qu’il ya ?
- Voilà, répond Konkobo, on m’a tué mon cheval !
Samba court après un cavalier de Konkobo. Il le tue et ramène le cheval.
- Mon papa, lui dit-il, monte sur ce cheval-là et continue à combattre !
Konkobo s’est remis en selle. Il se précipite sur les colonnes de Samba. Son deuxième cheval s’abat et tombe mort.
Samba est de nouveau venu à lui :
- Eh bien ! mon papa, demande-t-il, on l’a encore tué, ton cheval ? Il va tuer un autre cavalier de Konkobo.
- Mon papa, dit-il à son oncle, voilà une nouvelle monture.
Samba a ainsi remplacé au moins huit fois les chevaux tués sous son oncle. Il tue les garçons de konkobo, il les massacre tous. Maintenant le voilà maître du Fouta.
Il a mené son oncle Konkobo à l’écart du village et lui a dit :
- Reste là désormais. Tu y demanderas la charité.
Lorsque Samba fut mort et qu’on l’eut mis en terre, un Peulh en passant près de sa sépulture, vit la tête de l’ancien roi du Fouta qui sortait du sol.
- Ah ! dit-il, voilà une tête de cochon qui s’imagine n’être pas morte ! Il prit sa canne et frappa sur cette tête. Le bâton se cassa et un éclat pénétra dans l’œil du Peulh qui en est mort.
Les bambados du Fouta ont dit :
- Samba ne peut mourir ; c’est lui qui a tué le Peulh.
Sur lA LÉGENDE...
L’histoire des peuples a partout donné à des récits épiques qui ont encore le pouvoir de nous émouvoir. Il en est ainsi de « La geste de Samba Guéladio Diégui », de l’épopée de Soundiata ou de la merveilleuse histoire de Silâmaka, ardo du Massina et de Son presque jumeau Poullori.
Ces récits épiques sont bâtis sur le même canevas. Ils racontent des événements historiques émaillés d’épisodes merveilleux qui servent à faire ressortir le caractère exceptionnel du héros. Et la récitation de ces faits sans précédent s’inscrit sur un fond musical ; chaque héros est évoqué sur l’air qui lui est spécialement dédié. Et cette évocation des ancêtres valeureux crée une atmosphère intermédiaire entre le rêve et la réalité qui prédispose aux largesses... Pour le moment, nous allons nous intéresser au texte repris par Cendrars, une version parmi tant d’autres [1].
Cette petite étude aura atteint son but si elle peut aider à trouver des repères à la Geste de Samba Guéladio, prince du Fouta. Repères d’abord historiques, ensuite psychologiques qui pourraient guider le lecteur.
L’histoire légendaire de Samba Guéladio Diégui raconte les temps forts de la conquête du pouvoir du Fouta, par Samba, fils de Guéladio Diégui. Samba n’est pas un prince de fiction ; son nom figure dans les « Tarikh-El-Fuutiyu » des marabouts toucouleurs. Ces tarikhs, largement basés sur les légendes épiques, donnent, entre autres renseignements, la liste des Souverains silatigi [2] du Fouta. Dans une liste mentionnée par Yaya Wane, dans son ouvrage : « Les Toucouleurs du Fouta Tooro », il est dit que : Samba Guéladio succède à Guéladio Tabara, successeur direct de Guéladio Diégii, père de Samba. En remontant ainsi la chaîne, on arrive à, Koli T engela, le peulh Denyanké qui au XVIe siècle reprit le Tékrour aux conquérants mandingues et le baptisa : Fouta. Koli Tengela fut donc le premier souverain silatigi du Fouta. La tradition orale fait durer la dynastie des Saltigi denyanké jusqu’au début du siècle ; alors que les historiens estiment que cette dynastie aurait pris fin XVIIIe siècle. Samba Guéladio Diégui vers la fin du 17e siècle. Le second indice historique nous est donné par le père Labat . Malgré quelques réserves concernant les qualités d’historien du Père Labat, Equilbecq affirme cependant que la légende de Samba Guéladio Diégui n’est qu’une « version merveilleuse » d’un récit d’évènements rapportés par le Père Labat dans sa « Nouvelle relation de l’Afrique », publiée en 1728.
Voilà donc pour l’histoire écrite. Mais nous savons qu’en Afrique de l’Ouest, « seuls les héros qui ont inspiré une musique aux diali (griots) Sont encore connus des hommes » [3] . Dans ces conditions que faire pour inspirer une musique aux diali ? Rien ! Sinon être choisi par le destin ! Certes, mais encore. Ceux que chantent les griots doivent se signaler par leur courage, leur intelligence, leur droiture, leur sens de l’honneur. Alors, la mémoire collective se charge d’estomper les coins d’ombre, de grandir le héros pour le hisser au rang des créateurs de valeurs.
Samba Guéladio Diégui possède toutes ces qualités. Il est Courageux jusqu’à la témérité intelligent, d’une intelligence machiavélique, fier - quel ardo du Fouta ne saurait l’être ? A partir du moment où il a pris conscience de ses droits, rien ne peut s’empêcher d’atteindre son but. Il s’est agi d’une prise de conscience, et c’est le griot Sêvi qui sert de révélateur. En effet, le récit débute en mettant en scène un Samba terne qui ne sait pas faire de différence entre les propositions de son oncle et sa part légitime, qui est le trône du Fouta. Sêvi Malallaya, en conseillant le jeune Samba, joue auprès de lui le rôle qui est celui de tout bon griot de cour. On pense alors à ces lignes de Lilyan Kesteloot qui parle des griots« Voici les diplômes du monde traditionnel, qui manient les puissants, comme on tire les ficelles des marionnettes. Ils peuvent, à leur gré, créer des brouilles ou aplanir les différends... Ils sont maîtres des cœurs qu’ils enrobent dans le miel ou le fiel de leurs discours » [4].
Ce procédé qui consiste à mettre les héros dans des situations initiales qu’ils ne maîtrisent pas, n’est pas unique en son genre, tant il est vrai que « les grands arbres poussent lentement ». Voyez Soundiata, il lui avait été prédit un destin extraordinaire, mais jusqu’à sept ans, il se traînait au sol, tandis que les enfants de la co-épouse de sa mère gambadaient [5]. Ces épreuves du début permettent au héros de mieux tremper son caractère, et de donner plus tard la pleine mesure de ses possibilités. Ainsi Samba avait besoin des sages conseils de Sêvi, mais très tôt, nous le voyons s’affranchir et prendre en main sa propre destinée. Et Son premier acte d’indépendance est celui d’un homme décidé à atteindre le but qu’il s’est fixé, par tous les moyens. Il commence par abattre froidement son protecteur d’un moment, le guinnârou qui lui a fait don du fusil magique, Boussalarbi.
En fait, la reconnaissance de certains actes méritoires n’est pas un sentiment qui fleurit dans l’épopée, car les héros doivent veiller à ne rien laisser passer qui puisse infléchir le cours de leur destin. Silâmaka et Poullôri, pour être les seuls à posséder la protection magique qui les rendait invulnérables, tuèrent sans hésiter tous leurs bienfaiteurs qui avaient participé à la confection du gri-gri.
Quant aux rapports de Samba et des autres personnages de cette épopée, ils peuvent s’expliquer certes sur le plan psychologique, mais c’est sur le plan social qu’ils présentent le plus d’intérêt. Samba est autre selon qu’il a affaire à des nobles comme lui, ou à des gens de castes inférieures. Il épargne d’une manière chevaleresque la vie de Birima, par égard pour la sœur de ce dernier qui est sa « naoulé ». Et même son oncle Konkobo Moussa, qui est pourtant, son ennemi principal, il ne consent à combattre avec lui que dans les règles. Et il pousse même la « délicatesse » jusqu’à fournir à plusieurs reprises une monture à son oncle pour qu’ils puissent se battre ; et pour finir il épargne sa vie. Il y a là, c’est l’évidence, tout un code du parfait chevalier auquel Samba obéit. Ses cousins, les fils de Konkobo Moussa obéissent aux mêmes règles ; la veille de la bataille, Samba danse le « Alamari » avec eux, ils passent la soirée à plaisanter et le matin ils se retrouvent dans leurs camps respectifs : ennemis !
L’autre Samba, celui qui sait être irrespectueux à l’égard des vieux (bien sûr griots), cassant, manifestant brutalement son mécontentement, cet autre Samba donc, c’est le maître s’adressant à des à des gens qui ne signifient rien à ses yeux, c’est-à-dire les gens de caste et les captifs. Samba frappe la captive qui ose lui donner de l’eau souillée. Quant à Doungourou, il menace simplement de mort, si par peur du caïman, il lâche Oumoullatôma, la jument.
La vie d’un esclave ne vaut pas celle d’une monture qui participe directement aux exploits guerriers du héros. Structure sociale, basée sur le principe d’inégalité, qui n’a pas fini de poser problème [6].
Avant de terminer, il serait hasardeux - pourtant nous le ferons- de parler du style de ce texte, tant il est malaisé de transposer un texte initialement destiné à l’audition, en texte écrit, figé. L’informateur d’Equilbecq avait pressenti la difficulté en prévenant que l’histoire serait longue.
Et puis, il ne s’est pas agi d’un récit en langue poular, mais déjà d’une traduction en petit français [7] faite par l’informateur.
Cet homme qui connaissait certainement l’atmosphère dans laquelle on disait ce genre de récit épique a dû mesurer combien devrait être grand l’effort pour rendre le récit dans son intégrité. En effet, comment suppléer au vide laissé par le son du Hoddu ou du Khalam, comment rendre la participation de l’auditoire, comment marquer surtout le rythme du récit, ces successions à perdre haleine de petites phrases brèves, incisives, qui se précipitent et se brisent dans la pause, afin que la voix s’éclaire et que la guitare opère sa magie ? C’est pourquoi, on ne saurait se résoudre à reprocher au texte de cette épopée une certaine sécheresse de ton et une composition lâche par endroit.

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