samedi 16 novembre 2013

Patrimoine en péril : Alwar, le village natal d’El Hahj Omar nostalgique de son passé glorieux

Quand on évoque Alwar, le nom d’El Hadj Omar Tall vient toujours à l’esprit. C’est dans ce village perdu dans le département de Podor que le saint homme a vu le jour entre 1794 et 1797. Mais cette localité n’a plus l’aura héritée de l’homme de Dieu, fondateur de l’empire toucouleur. Le village où reposent son père, Thierno Seydou Tall, et sa mère, Sokhna Bint Adama Thiam (plus connu sous le nom d’Adama Aïssé) vit une profonde léthargie. Que ce soit dans le domaine social ou économique, Alwar n’a pas connu beaucoup de progrès. « El Hadji Omar est né en 1794 à Alwar, près de Podor. » Quel élève de CM2 n’a pas, en cours d’histoire, entendu son maître répéter sans arrêt ce refrain ? Mais, comme l’imagine certains, Alwar n’est pas aussi près de Podor. Les deux localités sont distantes de 42 km. Et pour s’y rendre, il fait se lever… tôt ! Crevasses, nids de poule, absence de bitume et différents obstacles malmènent les véhicules et les transporteurs qui s’y aventurent. Et à l’arrivée, le voyageur se retrouve tout ankylosé et cassé en deux. Perdu au cœur de l’île à Morphil, Alwar où vivent quelques 5.000 âmes, fait partie de ces villages oubliés par le développement. Ce petit coin de terre, qui a joué un rôle particulier dans l’histoire de l’humanité pour avoir vu naître un saint homme, dont la force mystique extraordinaire avait fini par faire de lui une vraie légende, n’a pas connu d’essor. Les populations vous diront avec fierté qu’El Hadj Omar Tall a été l’une des plus grandes figures du 19ème siècle africain. Qu’il avait entièrement mémorisé le Coran à l’âge de 12 ans. Qu’il avait, à 23 ans, effectué le pèlerinage à la Mecque où il reçut les titres d’El Hadj et de Calife de la confrérie soufi Tidjane pour le Soudan. Qu’il fut le fondateur de l’empire toucouleur, qui s’étendait de Tombouctou (Mali) jusqu’aux sources du Niger et du Sénégal. Il régna sur ce vaste royaume jusqu’à sa disparition dans la falaise de Bandiagara. Qu’il avait livré plus de 100 Djihads. Qu’il fut un grand conquérant et un symbole de la lutte anticoloniale. Mais, dans les yeux de ces gens, se lit une profonde tristesse, une profonde détresse, conséquence d’une mal vie, résultant du fait qu’Alwar ne répond pas à son nom. Un oubli flagrant
Une virée à l’intérieur de ce village renseigne sur la précarité des conditions de vie. Sa population est confrontée à de multiples carences et à une myriade de désagréments qui rend la vie dure. Pourtant, cette contrée dont le nom a fait le tour du monde, abrite des monuments qui jouissent d’une grande valeur historique. Il s’agit de la modeste maison où est né le Cheikh, la mosquée construite vers la deuxième moitié du 18ème siècle où il priait et qui a donné leurs noms aux mosquées omariennes, le cimetière où reposent ses chers parents et où les tombes sont recouvertes de bois mort, sa chambre de retraite spirituelle et enfin sa mare dénommée le Ndiadiolol et laquelle, selon les nombreux témoignages « ne tarit jamais et conserve, depuis la naissance d’El Hadji Omar, son eau jusqu’au prochain hivernage ». Alwar est l’un des plus célèbres, sinon le plus célèbre des villages du département de Podor. Paradoxalement, il reste incontestablement le plus mal loti en matière de développement. Le nom d’El Hadj Omar est toujours associé à ce village, mais hélas, celui-ci tarde à voir le bout du tunnel. Comme un village martyrisé, il est resté à la traîne. Aucun projet d’envergure n’est venu améliorer le quotidien des villageois. Pour les infrastructures, Alwar est bien derrière par rapport à certains villages de l’Île à Morphile. Et le visiteur ne pourra qu’être troublé par la vue de ce lieu qui semble aujourd’hui être abandonné. Enclavé et confronté à une pauvreté qui ne dit pas son nom, Alwar fait aujourd’hui face à de multiples carences en matière de développement. Plusieurs secteurs vitaux restent, en effet, confinés dans une situation qui, le moins que l’on puisse dire, nécessite une prise en charge pressante. L’agriculture, un secteur aussi très important, n’a pas échappé au sommeil et la population d’Alwar ne profite pas de ses potentialités agricoles. Oumar Aliou Mbodji, un des anciens du village, s’est dit préoccupé par l’aménagement hydro-agricole des périmètres de la zone au profit des populations. A son avis, le lieu où est originaire El Hadj Omar Foutiyou Tall ne devrait pas peiner à sortir de l’ornière. « Quand on parle de cet homme d’une dimension remarquable, on pense aussitôt après à son lieu de naissance, Alwar », précise le disciple du Cheikh. « On pratique l’agriculture, mais le rendement n’est pas toujours des meilleurs pour des raisons diverses liées à la production. La faim est perceptible dans la zone notamment à Alwar où vivent plus de 5. 000 âmes », poursuit-il, en plaidant pour la réhabilitation du hangar qui se trouve en face de la mosquée, jadis lieu de retrouvailles des notables du village, mais qui s’est écroulé depuis quelques années. De son côté, le conseiller rural, Abdoulaye Barry, par ailleurs président de l’association des parents d’élèves, déplore l’absence de collège dans la localité. « Le lycée se trouve à Ndioum (6 km). Une fois que nos enfants sont admis à l’entrée en sixième, ils vont poursuivre leurs études là-bas. C’est vraiment éprouvant si l’on sait toutes les difficultés pour rejoindre cette ville (il faut traverser deux fleuves). A cela s’ajoutent les frais de scolarité et de restauration. Avec toutes ces charges, le taux de déperdition scolaire est très élevé, et au bout de deux années seulement, beaucoup d’élèves sont obligés de jeter l’éponge, faute de moyens », regrette-t-il. Dans le domaine de la santé, soutient-il, le manque que vit le village, rend difficile le quotidien des villageois déjà fragilisé par un manque pesant. « Nous disposons d’une case de santé pauvre, qui est dans l’impossibilité de satisfaire les besoins pressants des citoyens. Il y a un déficit en personnel et en matériel. Cette case de santé est ouverte aux patients pour les premiers soins seulement et ne peut prendre en charge les cas urgents pour lesquels il est nécessaire de procéder à l’évacuation des patients vers Ndioum ou Podor», confie Abdoulaye Barry, qui soutient qu’un centre de soins bien équipé, apaisera le quotidien difficile de la population. A Alwar, le chômage est le dénominateur commun de la jeunesse. Ce phénomène continue encore de prendre en otage la frange juvénile, fragilisée davantage par l’absence d’infrastructures culturelles, sociales et sportives. « Alwar est plongé dans l’oubli. Nous n’avons presque rien. Nous n’avons ni zone d’activité, ni marché digne de ce nom et encore moins d’infrastructures en mesure d’atténuer le stress et servir de lieu de refuge pour les jeunes chômeurs de notre village », se désole M. Barry. Les femmes, qui veulent s’investir dans le maraîchage, et bloquées par le manque de moyens, n’ont d’autres activités que de se retourner les pouces du matin au soir. Alwar crie sa détresse
Le village d’Alwar qui a toujours souffert, continue encore de souffrir. Jusqu’à quand ? Amadou Tidiane Tall, petit fils d’El Hadj Omar, plaide pour la cause du Cheikh qui, rappelle-t-il, est un symbole d’unité, élevé dans la rigueur morale et la pure tradition studieuse et de noblesse qui caractérisent les descendants et successeurs de grands guerriers de l’Islam. Alwar, selon lui, ne répond pas à son nom. Cela est dû à un manque de cadres. « El Hadj Omar a répandu le nom d’Alwar dans le monde. Ne serait-ce que pour cela, des efforts devraient être faits pour montrer aux gens l’originalité de ce village ». Pour M. Tall, comme pour la majorité des habitants d’Alwar, les gens ont manqué de reconnaissance à El Hadji Omar. « Il était une figure de proue de la religion musulmane en Afrique au Sud du Sahara et l’on ne peut pas évoquer son nom sans faire resurgir les souvenirs de l’histoire coloniale et de l’intégration de l’Islam en Afrique. Sa vie et son œuvre sont enseignées dans beaucoup d’écoles africaines, rien que pour cela, le village qui l’a vu naître, méritait un bien meilleur sort», explique M. Tall, qui soutient qu’on n’a pas rendu au saint homme la monnaie de sa pièce. « Quand on va à Tivaouane, Touba, Kaolack, Ndiassane, on voit que les descendants et disciples des guides religieux y ont beaucoup investi. Mais quand on vient chez El Hadj Omar, c’est la désolation la plus totale », déplore-t-il. A son avis, ce ne sont pas seulement les populations d’Alwar qui doivent s’investir pour redorer le blason d’Alwar. Selon lui, El Hadj Omar Tall s’est battu pour l’implantation de l’Islam. Tous les musulmans devraient donc apporter leur pierre à l’édifice pour mettre Alwar dans la rampe de l’essor. « Par le passé, on avait interpellé Thierno Mountaga Tall pour la réhabilitation de la maison natale du Cheikh, mais il n’avait pas accepté. Peut-être que ce refus est dû au fait qu’El Hadj Omar était trop détaché de la vie matériel, mais il y a un minimum et Alwar devait dépasser cette situation », indique-t-il. Aujourd’hui, la jeunesse veut relever le défi. « Nous nous battons pour réhabiliter Alwar et lui donner la place qu’il mérite. Nous lançons donc appel à toutes les personnes de bonnes volontés pour nous soutenir dans cette entreprise », affirme M. Tall, par ailleurs Président de l’association des élèves et étudiants d’Alwar. Depuis plusieurs décennies, des voyageurs du monde entier viennent à Alwar prier dans la mosquée omarienne, visiter la maison natale du Cheikh, se baigner dans sa mare et se recueillir sur les tombes de sa mère et de son père. Mais les populations d’Alwar continuent de vivre dans des conditions déplorables. Elles n’ont peut-être pas tous dit sur les problèmes dans lesquels elles pataugent depuis des années, mais cela doit être suffisant pour attirer l’attention des pouvoirs publics pour qu’ils bougent le petit doigt afin de les aider à retrouver leur fierté. Aujourd’hui, Alwar vit d’espoir, et ses populations attendent beaucoup de l’Etat pour qu’il les aide à faire revivre leur localité en encourageant et en facilitant des investissements qui leur permettront de vivre dans des conditions favorisant leur épanouissement. Oumar Aliou Mbodji, le gardien du temple qui veut faire revivre Alwar Oumar Aliou Mbodji n’est pas satisfait du triste sort réservé à l’Ile à Morfile et particulièrement à Alwar, village d’origine d’El Hadji Oumar Foutiyou Tall, qui a joué un grand rôle dans l’expansion de l’Islam en Afrique. Et il ne cache pas son sentiment de désolation en faisant une comparaison entre la dimension du Cheikh et les nombreux défis auxquels Alwar reste confronté. Rendre à César ce qui lui appartient. C’est le vœu pieux d’Oumar Aliou Mbodji, habitant d’Alwar, village où est né El Hadj Oumar Foutiyou Tall. C’est avec un brin de regret qu’il évoque l’état dans lequel se trouvent aussi bien la maison où est né le Cheikh, la mosquée où il avait l’habitude de s’acquitter de ses prières quotidiennes ainsi que son lieu de retraite spirituelle. Pour lui, la vétusté dans laquelle se trouvent ces lieux sus-indiqués n’est pas digne du rang d’El Hadj Omar Foutiyou Tall qui a joué un rôle prépondérant dans l’expansion de l’Islam en Afrique et particulièrement en Afrique au sud du Sahara mais aussi de la confrérie tidjiane. « Ces lieux devraient être réhabilités depuis longtemps. Mieux encore, le village d’Alwar, lieu de naissance d’El Hadj Omar Foutiyou Tall, et toute l’Île à Morphil devraient être désenclavée », soutient-il. La soixantaine passée, Oumar Aliou Mbodji ne se lasse pas à exhorter les rares visiteurs qui débarquent dans le village, à œuvrer par tous les moyens dans le sens de réhabiliter ces lieux symboliques pour la communauté musulmane du Sénégal et du monde tout court. « Nous savons tout le mérite du Cheikh. Il fût un homme illustre, catalyseur de l’Islam en Afrique occidentale, connu par ses dons dans les sciences islamiques. Il était préoccupé par l’expansion de l’Islam, du Coran dont il était profondément imprégné pour en faire un code de conduite permanent tout au long de sa vie. Il n’était pas seulement un leader spirituel, mais également un homme d’action toujours préoccupé par un meilleur devenir de ses semblables. Nous devons donc œuvrer pour la réhabilitation de ces édifices », dit-il. Il reste d’avis que ces endroits devraient être des lieux de prières, de recueillement et de pèlerinage pour de nombreux fidèles musulmans. Car, ajoute-t-il, le Cheikh tirait sa vaste culture arabo-musulmane des solides études coraniques et théologiques menées du Fouta à la Mecque, en passant par nombre de centres d’études islamiques tout aussi prestigieux en Afrique. Toutefois, souligne M. Mbodji, des bonnes volontés ne manquent pas. D’ailleurs, poursuit-il, dans le passé, il y a eu des gens qui avaient voulu raser totalement la mosquée pour en construire une autre sur le même site. Du fait d’une divergence de visions au sein de la communauté, ce projet n’a pas vu le jour. « Certains étaient pour, d’autres contre. Finalement, le problème est resté entier », regrette-t-il. A son avis, les gens doivent dépassionner ce débat, et s’attaquer à l’urgence qui demeure la réhabilitation de ces endroits si chers au Cheikh. « Ces édifices sont en banco. Retraite spirituelle Leur réhabilitation est une urgence, une nécessité d’autant plus qu’en saison des pluies, la mosquée suinte parce que l’architecture est vieille et vétuste. Il y a partout des fissures notamment à la terrasse», explique-t-il. La situation est plus alarmante dans la maison où est né le Cheikh. Le bâtiment risque de s’effondrer d’un jour à l’autre, faute d’entretien. Pis, personne n’y habite. Sauf les visiteurs de passage. Le hangar érigé dans l’enceinte de la maison est en passe de s’écrouler. Tandis que le lieu de retraite spirituelle du Cheikh continue de subir les effets du poids de l’âge. C’est seulement lors de la célébration du bicentenaire d’El Hadj Omar Foutiyou Tall, il y a de cela quelques années, que l’actuel président de l’Assemblée nationale du Sénégal, Moustapha Niasse, alors Premier ministre, a construit un mausolée aux lieux où reposent les défunts parents du Cheikh, dans le cimetière du village, ainsi qu’un grillage de clôture. A son avis, le fait qu’Alwar soit dans l’Île à Morphil ne doit pas constituer un prétexte pour certains à s’abstenir à mettre leurs biens pour réhabiliter ces édifices. « Il y a beaucoup de villages qui sont dans cette partie du pays où l’on retrouve des mosquées dignes du rang des érudits qui s’y trouvent ou qui y sont originaires. Dieu récompensera toujours les bonnes œuvres», rappelle M. Mbodji. Le rêve de ce disciple d’El Hadj Omar Foutiyou commence à prendre forme. L’année dernière, des bonnes volontés avaient enduit du ciment la mosquée omarienne d’Alwar. Cela fait déjà trois ans que les Alwarois, la communauté musulmane de manière générale, ont commencé à célébrer la naissance de l’homme de Dieu. Seulement, c’est l’année dernière que l’actuel khalife général de la famille omarienne, Thierno Bachirou Tall, a commencé à assister à ce rendez-vous de la foi, de prières et de forte dévotion. A l’issue de cette rencontre religieuse, selon M. Mbodji, le successeur de Thierno Mountaga Tall a pris l’engagement de redonner à cet événement islamique la dimension qu’elle mérite. « Beaucoup de fidèles étaient présents à ce rendez-vous annuel. C’était la première fois qu’on avait accueilli autant de monde à Alwar », se félicite M. Mbodji, qui reste convaincu que le khalife de la famille omarienne, Thierno Bachirou Tall, va bientôt changer le visage de ce village où est originaire son grand-père.

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