ly 2013.
(Contribution du Pr. Arona Coumba Ndoffene Diouf, Double Major PhD
Ministre, Conseiller Spécial auprès de SEM Macky Sall)
L’agriculture sénégalaise, qui représente environ 20 % du PIB et
emploie 60 % de la population active et une proportion importante des
recettes d’exportations, revêt une importance capitale pour les
perspectives de développement du Sénégal. Avec quatre cinquièmes des
ménages pauvres vivant dans les zones rurales, aucune stratégie de
réduction de la pauvreté ne peut atteindre son objectif sans accorder
une place importante au développement rural et à l’agriculture. Malgré
tout, pendant 60 ans, l’évolution de la production a été décevante. Les
politiques agricoles des gouvernements successifs se sont révélées
inadéquates. Très peu d’efforts ont été consentis pour le développement
des zones rurales, encore moins l’élaboration de programmes novateurs en
vue d’étudier les questions agricoles et de mesurer les besoins
pressants en technologies nouvelles.
Comment en sommes nous arrivés là ?
La crise agricole du Sénégal date de l’ère coloniale. À la fin du
XIXe siècle, l’introduction de la production de masse d’arachide, de mil
et de sorgho a permis aux colons de générer beaucoup de recettes. Afin
de mieux contrôler la production considérable de l’agriculture,
notamment le stockage et la vente, le Gouverneur Roger a créé de
nouvelles organisations agricoles dont les Sociétés indigènes de
prévoyance (SIP) et les Centres d’expansion rurale (CER), qui entraient
directement en concurrence avec la Chambre de Commerce française. Avec
la complicité des libanais, l’administration coloniale a délibérément
mis en oeuvre des mécanismes leur permettant de limiter la participation
des paysans à la traite de l’arachide. Les célèbres sociétés
commerciales telles que Buhan&Teisseire, Deves&Chaumet,
Maurel&Prom détenaient le monopole dans des secteurs comme le
transport et l’octroi de crédit, et importaient des articles comme le
tissu, le riz asiatique et des espèces utilisées pour acheter la récolte
des paysans. Ce négoce générait des milliards de francs au profit des
colons qui freinaient toute tendance susceptible d’œuvrer pour la
nationalisation du commerce colonial (Amin, 1969). Plusieurs rapports
ont dénoncé les pratiques déloyales auxquelles s’étaient livrés les
Libanais et certains hommes d’affaires sénégalais dont la plupart
étaient des commerçants titulaires de licences, qui jouaient le rôle
d’intermédiaire entre les sociétés commerciales et les paysans. Le
secteur agricole était le théâtre de spéculations financières pour les
colons ainsi que pour les commerçants libanais « intermédiaires »
corrompus. Le résultat était désastreux et ce fut le début de
l’effondrement de l’agriculture au Sénégal, qui depuis, n’est jamais
revenu à la normale.
Les gouvernements successifs post-independence : Une série d’échecs de programmes agricoles défaillants
Au début des années 60, le premier Président sénégalais, Léopold
Sédar Senghor mit sur pied les centres d’expansion rurale polyvalents
(CERP) pour réguler les services et la production des cultivateurs.
Ensuite, il créa un nouveau bureau nommé Office pour la
commercialisation de l’agriculture (OCA) qui était chargé de coordonner
la production et la commercialisation des produits agricoles soutenu par
une autre structure appelée Centre régional d’assistance au
développement (CRAD) qui servait d’intermédiaire entre les cultivateurs
et les responsables administratifs. La Banque nationale pour le
développement du Sénégal (BNDS) fut créée en vue de promouvoir et
d’appuyer le « programme agricole » de Senghor en octroyant aux paysans
des liquidités pour acheter des semences, du matériel, et de l’engrais.
Progressivement, Senghor supprima le système agricole colonial, mais
seulement pour le remplaçer par un autre système jumeau dont la
principlae mission était l’exploitation des paysans sénégalais.
En 1966, Senghor mit sur pied une nouvelle agence, l’Office national
de coopération et d’assistance pour le développement (ONCAD) à qui était
assigné la mission d’exécuter la double tâche de l’OCA et du CRAD. En
realité, l’Oncad n’était qu’un prolongement du système de
commercialisation colonial, sa reproduction parfaite et plus élaborée.
Cette organisation était composée d’associations de corrompus et de
voleurs de la pire espèce que le Sénégal ait jamais connue dans son
histoire. C’était également un cadre idéal dans lequel les militants du
parti socialiste au pouvoir pouvaient s’enrichir. Beaucoup
d’observateurs tiennent les administrateurs PS de l’Oncad, à travers
leur mode de vie, responsables des détournements de plusieurs milliers
de milliards de francs CFA. Les conséquences ont été néfastes pour le
monde rural car nos malheureux paysans ont été obligés de convenir à des
baisses répétitives des prix de l’arachide, surtout pendant les
périodes de sécheresse chronique. L’incapacité du gouvernement de
Senghor à initier les paysans au crédit sur défaillance devenait
récurrente et les crédits agricoles aboutissaient toujours à
« l’effacement », dont il se servait à des fins politiciennes. Selon la
Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, (BCEAO), en 1972,
70 % des crédits de semences et 60 % des crédits d’équipement et
d’engrais n’ont pas été remboursés. En 1973, les paysans ne sont pas
parvenus à rembourser 52 % de leurs crédits de semences et 46 % des
autres crédits qui leur ont été accordés. Une étude de la Banque
Mondiale a fait état d’une baisse annuelle de la production agricole
sénégalaise de 2,1 % jusqu’en 1970 et une baisse constante de 15,6 %
sous le régime de Senghor. Des experts du FMI ont avoué, dans leur
Rapport annuel de 1978, que beaucoup de réformes prises par Senghor
étaient irréalistes et allaient à l’encontre des intérêts des paysans
sénégalais.
Lorsque Diouf a accédé au pouvoir, il ne réussit pas non plus à
améliorer le secteur agricole sénégalais qui était déjà en déclin. En
1980, Diouf dissout l’Oncad pour le remplacer par la Sonacos, une
entreprise semi-privée, qui acquit la tache d’assurer la supervision de
la campagne de commercialisation de l’arachide en collaboration avec les
coopératives agricoles. Ensuite, il mit en place une autre structure
chargée de gérer toutes les activités de distribution : la Société
nationale d’approvisionnement du monde rural (Sonar). Le rôle
de la Sonar était principalement orienté vers le programme de crédit et
la mise en place des moyens nécessaires au financement des activités de
distribution. Dans sa mise en œuvre, ce programme ne fut qu’un duplicata
d’un autre distributeur, la Société nationale d’approvisionnement en
graines (Sonagraines). Il devint extrêmement difficile d’avoir accès au
crédit et les prix des semences certifiées flambèrent. Il était d’autant
plus difficile et compliqué pour les paysans de remplir les conditions
d’obtention de crédits dont seuls les « paysans socialistes » avaient le
monopole. Les transactions retorses devinrent rapidement routinières.
La Sonagraines se mit à vendre de plus en plus de semences à crédit aux
paysans PS dans le but de les récompenser pour leur soutien lors des
élections. Le gouvernement de Diouf autorisa la Sonagraines à vendre
toutes ses semences à crédit aux paysans PS sans versement d’acompte.
Les résultats furent catastrophiques. La moitié des crédits n’a même
pas été remboursée et la plus grande partie des semences certifiées
invendues a été bradée aux sociétés de transformation d’huile.
En 1981, dans le cadre de sa Nouvelle Politique agricole, Diouf a
spécieusement distribué des crédits de semences à chaque adulte ayant
acquitté l’impôt de capitation annuel. Les semences étaient absurdement
réparties à raison de 100 kilogrammes par homme contribuable
et 50 kilogrammes par femme contribuable. Le chef de ménage qui payait
ses taxes était en général celui qui recevait des semences, lesquelles
étaient distribuées par des coopératives publiques dirigées par des
militants du Parti Socialiste. L’augmentation du nombre de défauts de
paiement laissait cependant à penser que, pendant qu’ils se livraient au
chantage politicien et à l’usurpation de biens publics, les dirigeants
du PS n’ont eu aucun souci lorsqu’il s’agit du remboursement des dettes
financières contractées par les paysans PS. L’instauration d’une
subvention à l’industrie – par exemple, la Société industrielle des
engrais du Sénégal (SIES) afin de stimuler la production et d’assurer
une couverture contre l’inflation des cours mondiaux des engrais
chimiques – s’est révélée inefficace pour les sauver. Réciproquement, la
dépendance du pays par rapport aux importations de produits
alimentaires a accru malgré la creation d’un autre plan d’ajustement
structurel mis en oeuvre par la Société de développement et de la
vulgarisation agricole (Sodeva) qui lui aussi n’ avait pas réussi à
avoir l’impact escompté sur la performance économique de Diouf (source :
Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE],
1985, page 13).
En 1985, dans le but d’accroître l’implication du secteur privé dans
la commercialisation des récoltes, Diouf a autorisé un nombre limité
d’opérateurs économiques (Organismes privés de stockeurs), d’acheter
l’arachide directement auprès des paysans. C’était de la pure moquerie
aux yeux de certains experts. Les conséquences ne se firent pas
attendre. En 1986, les prix de gros de l’arachide ont augmenté de 60 à
90 francs le kilogramme faisant ainsi chuter les prix à l’exportation.
En 1990, suite à une subvention improvisée pour une durée de trois ans,
le gouvernement établit à 70 francs le kilogramme de l’arachide afin de
le rendre plus compétitive sur le marché international. Diouf créa
encore une nouvelle structure, le Commissariat à la sécurité alimentaire (CSA),
avec comme mission de garantir des stocks d’urgences de céréales et de
réguler les prix sur le marché lorsqu’il existait une trop grande
différence entre les prix minimum et maximum conseillés. Sans moyens
idoine pour lui permettre une régulation efficiente du marché, le CSA ne
fut qu’une fois de plus un autre echec de Diouf (source : Newman, Ndoye
et Sow, 1985). Devant ce désastre, Diouf, sans se lasser de ses
defaillances, mit en place le Projet autonome semencier (PAS) dans le
but de soutenir la Sonagraines. Le PAS a montré beaucoup plus d’habilité
que son aînée à recouvrer ses créances, mais, de nouveau sous les
pressions du lobby PS, elle a été obligée d’« échanger » la totalité de
son stock à crédit contre des voix électorales.
Au début des années 90, les crédits publics de semences ont été
interrompus et le Programme agricole de Diouf complètement abandonné et
remplacé par une retenue à la source en attendant la mise en place d’un
nouveau programme. En juin 1994, l’inlassable Diouf a instauré un autre
programme de développement agricole visant à déterminer le cadre et les
objectifs relatifs à la stratégie macroéconomique proposée dans le
contexte de la dévaluation du Franc CFA. Ce document stratégique,
modifié en avril 1995, a servi de point de départ à une autre série de
réformes connue sous le nom de Programme d’ajustement structural
agricole qui était appuyé par le Crédit pour l’ajustement du secteur
agricole (CASA) avec le soutien de plusieurs bailleurs, dont la Banque
mondiale, l’Agence française de développement, l’Union européenne et
l’USAID. Toutes ces réformes agricoles ont échoué tout simplement parce
qu’elles n’ont pas réussi à produire les résultats escomptés.
Des observateurs étrangers ont classé le Sénégal parmi les pays
importateurs nets de produits alimentaires qui sont constamment
bouleversés par des incertitudes extérieures ou locales. De 1985 à 1994,
la valeur totale des importations agricoles, qui comptaient pour 25 %
des importations totales de produits, est passée de 244 à 352 millions
de dollars en dehors des fluctuations régulières. Cette tendance à la
hausse s’est poursuivie dans les années suivantes. Les importations
moyennes nettes (342 millions de dollars) ont atteint, durant la période
1995-2000, une valeur de 87 % plus élevée que celle de la période
1990-1994 et 7 % plus élevée que la valeur extrapolée. La valeur moyenne
des importations agricoles nettes était de 86 % plus élevée durant la
période p que durant la période allant de 1990 à 1994 et de 11 % plus
élevée que la valeur extrapolée. En outre, Diouf a instauré un droit de
timbre de 3 %, ce qui fit croître le taux moyen statutaire du total des
taxes à l’importation qui avait été réduit, jusqu’à 90 %, passant de
98 % en 1986 à 68 % (PNUD/Banque mondiale, 1992).
La seule innovation des mesures prises par Diouf au milieu des
années 90 a été de renforcer la compétitivité des divers secteurs tout
en atténuant les problèmes survenus à l’issue de la dévaluation du
franc CFA et en appuyant les réformes déjà entamées avec les donateurs
(MEFP, 1996). La seconde séquence a encouragé la libéralisation des
prix, les réformes institutionnelles, la restructuration de certaines
industries (privatisation, etc.) afin d’obtenir plus d’efficacité dans
des secteurs comme le riz, le coton, l’arachide et l’élevage. La réforme
a également porté sur une plus grande implication des coopératives
agricoles et du secteur privé dans les activités menées jusqu’à présent
par le secteur public.
Beaucoup d’experts d’institutions internationales attribuent l’échec
du secteur agricole sénégalais aux innombrables réformes élaborées à
travers la mise en place des gouvernements successifs de Senghor et
Diouf qui n’ont pu transcender de façon scientifique la croissance de la
productivité agricole, la production alimentaire locale et la
diversification de la production et des exportations agricoles par la
promotion de nouvelles cultures et la transformation des matières
premières. Un rapport de l’IDEO (Initiative de développement et de
diversification économique pour l’Ouest) explique cet echec par « l’absence
de vision durable et des reformes qui n’ont pas tenu en compte la
recherche d’infrastructures rurales, l’encadrement des paysans par l’accès
aux services ruraux de base tels que le crédit en intrants et à l’eau
potable, mais surtout de l’existence de gouvernements trop
bureaucratiques y compris des conditions climatiques défavorables avec
les années successives de sécheresse aiguë.
(A suivre les programmes agricoles de Wade et de Sall …)
Pr. Arona Coumba Ndoffene Diouf, Double Major PhD
Ministre, Conseiller Spécial auprès de SEM Macky Sall
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