lundi 10 novembre 2014

Vers l’émergence du Sénégal : que faire du secteur informel?

Le secteur informel, un frein ou facteur de développement ?
Vers l’émergence du Sénégal : que faire du secteur informel

Avec une contribution de plus 50% du PIB selon les estimations, le principal enjeu du secteur informel sénégalais réside dans le manque à gagner qu’il crée pour les recettes fiscales de l’Etat et l’anarchie au sein de l’organisation économique du pays qu’il engendre. Ce manque à gagner et cette désorganisation entravent la capacité de l’Etat à mettre en place des politiques publiques destinées à organiser la migration vers le secteur formel (formalisation) d’une part et la création d’un cadre favorable au développement. Ainsi, face à cela, la question qui se pose est de savoir s’il faut l’éradiquer; et si oui, comment? Cependant, il est nécessaire de déterminer les avantages et les inconvénients de l’informel pour mieux appréhender dans quelle mesure faut-il formaliser le secteur. 

Les avantages du secteur informel

On ne peut nier ou se débarrasser aussi facilement d’un secteur qui crée plus de 90% des emplois (primo-demandeurs et demandeurs de longue durée), un pan de l’économie sénégalaise dont dépend environ 80% de la population. Objectivement, le secteur informel présente des avantages certains.
En effet, les activités informelles règlent deux problèmes majeurs auxquels sont confrontés les groupes les plus vulnérables de la société (les femmes et les jeunes) : la satisfaction des besoins de bases (se loger, se nourrir, se vêtir, etc.) et le chômage. Cette donne, à elle seule, vue l’incapacité des pouvoirs publics à répondre de cette situation, semble donnée une totale légitimité à la pratique et montre son importance capitale dans la société sénégalaise.
Aussi, un autre élément déterminant, les produits et services du secteur informel sont faits par et pour les sénégalais. Les biens et services commercialisés respectent à la fois le goût, mais surtout le budget des populations locales. Le secteur  informel se pose ici en rempart contre les crises économiques qui affectent l’économie nationale et surtout les revenues des sénégalais (pénuries, l’accessibilité au marché, le niveau du salaire, la cherté des prix et ces derniers ne sont plus une donnée mais résultent de négociations entre acheteur et vendeur selon les besoins de chacun, etc.).
En outre, les avantages des activités informelles se mesurent par sa contribution croissante au PIB. En effet, il ressort du Rapport National sur la Compétitivité de l’Economie sénégalaise (RNCS 2011) que le secteur informel a contribué entre 2005 et 2009 à la valeur ajoutée des secteurs agricoles, industriel et des services à hauteur respectivement de 97,9%, 43,5% et 46,3%.
Par ailleurs, d’après les données de la comptabilité nationale, ce secteur (hors secteur agricole) a participé à hauteur de 2 073 milliards de FCFA à la formation du PIB global en 2010, soit 32,6%. Ce secteur informel qui, de manière globale, a contribué à hauteur de 55% à la création de richesses est considéré comme un secteur refuge, permettant de capter toutes les initiatives de création d’emplois. Ce qui en fait un levier attractif pour la plupart des jeunes à la recherche d’emploi.
Son importance est telle que son avenir dépend, soient des réformes internes et externes éventuelles, soient des politiques socio-économiques misent en œuvres qui lui permettront de mieux cibler et de s’adapter aux milieux touchés par son action étant donné que l’informel présente des défauts. Pour se faire, l’identification de ses inconvénients est nécessaire.

Les inconvénients du secteur informel
Le secteur informel est d’abord une économie de survie, non créatrice d’emplois décents, marqué par le manque de formation des acteurs et la faible accumulation de capital mais aussi une productivité médiocre et un incivisme fiscal.
En effet, les conditions d’activités au niveau du secteur informel sont précaire, les résultats de l’enquête sur le secteur montre que moins de 20% des unités de production informelles disposent d'un local spécifique d'activité (ateliers, boutiques, postes fixes sur les marchés publics), 39,6% exercent à domicile, et 41,1% ne possèdent pas de local.
Les raisons de l’absence de local pour les unités informelles mettent en lumière l'ambivalence de ce secteur. 44,3% des chefs d’unités informelles n’ont pas les moyens de disposer d’un local, 42,8% n’ont pas de local pour des raisons délibérées et 10,9% n’ont pas pu trouver des locaux disponibles. Plus de la moitié des chefs d’UPI sans local se plaignent de ne pouvoir exercer dans un local approprié, soit qu'ils ne peuvent en supporter le coût, soit qu'ils n'en ont pas trouvé sur le marché. Quant à ceux qui possèdent un véritable local, 20,8% en sont propriétaires, 62,7% sont locataires et environ 12,5% travaillent dans un local qui leur a été prêté.
La précarité du secteur prive les acteurs d'accès aux principaux services publics de bases (eau, électricité, téléphone) la plupart des unités de production informelles (91,3% privées d'eau, 78,9% d’électricité et 92,2% de téléphone).
La précarité de l’emploi se traduit par le non protection de la main-d’œuvre d’une part et la faiblesse de la rémunération d’autre part.
En effet, 73% de la main-d’œuvre informelle ne bénéficie pas d’un contrat en bon et due forme indique l’enquête sur le secteur informel de la DPS. Ce constat constitue pour la DPS un indice majeur de l’informalité des relations de travail. L’absence de prestation et de couverture sociales montre l’incapacité du secteur à offrir un emploi décent. Concernant la rémunération, soulignons d’abord que le taux de salarisation atteint à peine 13% de même que les unités informels ayant recours au salariat se situe à 2%. Par ailleurs, la mesure des revenues dans l’informel selon les même sources n’est pas facile du fait de l’inexistence d’une comptabilité écrite et formel ou de bulletin de paie. Cependant, bien que le revenu moyen dans ce secteur est supérieur au revenu minimum fixé (308 FCFA contre 209,1 FCFA par heure), il cache des disparités importantes, elle est tributaire des revenus les plus élevés car le salaire médian se situe à 23000 francs CFA par mois.   
La formation au niveau du secteur informel est faible en atteste le niveau d’instruction au sein du secteur avec seulement 2,8 année d’étude. En effet, le niveau d’instruction influe fortement sur le caractère informel en ce sens plus le niveau d’instruction est bas plus les activités sont informelles selon l’enquête de la DSP.  
La faiblesse des investissements se caractérise par le niveau d’accumulation du capital, selon les mêmes sources près de 61% du stock de capital a été acquis de seconde main. Aussi, la majorité du capital est financée par l'épargne individuelle, à raison de près de 67% de sa valeur. Ce constat exprime l’importance de l’autofinancement dans le secteur informel et l’absence d’effets de levier financier. En fait, rare sont les unités informelles ayant recours au financement bancaire ou autre institution formel et le remboursement de l’emprunt s’effectue difficilement s’il s’agit de ce mode de financement.
Le faible accès au financement de type bancaire signifie aussi que les entreprises informelles ont moins d’occasions d’investir et de ce fait, ont un niveau d’intensité capitalistique faible et donc de productivité réduit.
En effet, la faible productivité des entreprises du secteur  informel peut s’expliquer par leur vulnérabilité, le manque de transparence et la maîtrise insuffisante de leurs propres comptes, ainsi que par une allocation sous-optimale des ressources productives, estime l’étude sur les entreprises informelles de l’Afrique de l’Ouest. L’informel empêche donc les entreprises d’acquérir des compétences managériales modernes et d’employer des travailleurs bien formés, limitant ainsi leur potentiel de croissance et celle de l’économie sénégalaise.
L’autre limite non moins importante du secteur, est que l’informel n’est pas un bon contribuable au budget de l’Etat. L’analyse de sa contribution fiscale indique que seule 5% des UPI payent la patente. Aussi, la part des impôts et taxes payés à l’Etat est faible, soit 1,9% de la valeur ajoutée totale du secteur. Au Sénégal,  le secteur informel  a contribué pour 2,4% à 3,5% des recettes fiscales intérieures au cours de la période 2004-2007 (Benjamin et Mbaye, 2012). Cette faible contribution du secteur aux recettes fiscales constitue un manque énorme à gagner pour l’Etat du Sénégal et une entrave à l’équité fiscale. D’ailleurs, l’administration fiscale doit chercher des voies et moyens pour combler ce déficit en ce sens que les marges de manœuvre ne sont pas limitées.  
Ainsi donc un secteur informel de grande ampleur pose de nombreux problèmes aux gouvernants. En ce sens qu’une économie trop informelle rend les statistiques officielles peu fiables et incomplètes, ce qui complique la tâche des gouvernants pour la prise de décisions. Aussi, la faible contribution de l’informelle à l’effort national fausse la concurrence, freine la croissance économique et restreint l’efficacité des politiques publiques, d’où la question faut-il formaliser ce secteur l’objet de notre dernière sous-section.

Faut-il formaliser le secteur informel ?
Face à ses atouts et ses défaillances, une nouvelle approche de gestion du secteur informel s’impose. Le dilemme est tel qu’on ne peut, ni se baser sur l’idée qu’il contribue largement à la formation de la valeur ajouté  brut, au PIB, à la réduction du chômage, etc. ni se fonder sur la précarité des revenues et de l’emploi, l’équité fiscal, etc. pour apprécier dans quelle mesure faut-il rendre le secteur informel formel en vue d’un développement économique intégré.
En effet, répondre à la question faut-il formaliser le secteur informel sénégalais pour stimuler le développement économique du Sénégal grâce à ce secteur suppose que l’on a déjà identifié d’une part les causes de l’informel et non ses conséquences et d’autre part proposer des mesures incitatives et adaptées à l’intégration des acteurs informels dans le secteur moderne et non réprimander.
Le secteur informel est le secteur où la pauvreté est plus importante au Sénégal (le secteur informel est responsable de 90% de la pauvreté). L’économie informelle est donc due à la pauvreté et à la recherche des moyens survies d’une part et d’autre part l’excès de lois, de réglementations et d’exigences administratives.
Faute d’un Etat providence, la population en marge du système moderne formule des stratégies de survie, elle se débrouille. En effet, l’objectif principal des acteurs du secteur est d’assurer, soit leurs survies, soit celle du ménage, sans pour autant développer une mentalité d’accumulation ou d’épargne censée caractériser le capitalisme moderne. Ainsi, le secteur informel permet de dégager des revenus et des emplois de survie.
Par ailleurs, l’omniprésence de l’Etat se traduit selon De Soto dans son ouvrage "L’autre sentier. Une révolution invisible dans le Tiers-Monde" (1987), par les règles et contraintes imposées par  l’Etat dans le fonctionnement de l'économie. Ces règles et contraintes découragent l’esprit d’initiative et dissuadent les entrepreneurs d’accéder à la légalité en matière de propriété ou de déclaration d’activités. Ce qui pousse les potentiels entrepreneurs, pourtant dynamique et porteur de développement, à rentrer dans l’informalité. C’est donc le prix de la légalité (impôts, taxes, droits, réglementations, paperasse…) qui leur est inaccessible compte tenu de leur moyens.
Quoi que l’Etat soit le principal responsable de la situation et que l’existence du secteur informel caractérise le niveau de développement économique du pays, l’idéal serait donc d’arriver à intégrer le secteur à long terme car il est impossible de développer un pays dans le cercle vicieux de la pauvreté. Dès lors, les stratégies misent en œuvre et les politiques qui visent le secteur informel devraient chercher à lever les obstacles au développement économique du Sénégal, à la création d’entreprises reconnues et d’emplois décents.
Pour ce faire, l’Etat du Sénégal devra d’une part mettre en pratiques  des mesures incitatives, c’est-à-dire produire une fiscalité adaptée à la réalité du secteur informel et réduire les démarches administratives pendant et après la création d’entreprises, imposer une carte professionnelle à chaque opérateur économique (de préférence une carte magnétique permettant l’identification, la nature de l’activité exercée et le minimum imposable, la régularité de paiement, etc.). Ces mesures doivent être accompagnées par une sensibilisation forte (publicité, tracts, marketing, spots, etc.) et permettre l’accès à une information de qualité aux entrepreneurs et les potentiels entrepreneurs ainsi qu’aux services compétents.
Et d’autre part, s’agissant des politiques économiques et sociales de développement, intégrer au cœur de ces politiques la question du secteur informel. En effet, la prise en compte de ce secteur, qui est considéré comme le terreau de la croissance économique future dans l’économie formelle se justifie car il peut servir d’amortisseur du sous-développement et de rampe à l’émergence économiques.
C’est ce que semble comprendre la nouvelle équipe gouvernementale en créant un ministère du commerce et du secteur informel. Cependant la question de l’informel ne peut se limiter aux activités commerciales, elle va au-delà et intéresse tout le système économique du pays, de l’industrie à la formation professionnelle. Notons ainsi, que lors de sa déclaration de politique générale le Premier ministre, avait souligné la question de la formation des acteurs du système avec la création de lycée professionnels spécialisés permettant aux apprentis déjà présents dans le secteur informel, de valider leurs compétences pratiques acquises et d’obtenir une qualification et des diplômes (CAP ou du BTS) au sein de ces lycées professionnels. Aussi, elle affirme que l’ambition d’articuler la politique d’industrialisation du Sénégal à la modernisation du secteur informel.
Par ailleurs, la création d’un Fonds de Garantie des Investissements Prioritaires pour l’Entreprenariat (FONGIP) de 350 milliards de FCFA pour garantir le financement de l’entreprenariat du secteur informel et agro-sylvo-pastoral répond aux besoins de financement du secteur informel.  
Aussi, la Nouvelle Politique Nationale de l’Emploi vise à promouvoir la création massive d'emplois, à travers la promotion des investissements publics à haute intensité de main d'œuvre (HIMO) et de l'auto-emploi des jeunes par la valorisation des compétences et à améliorer le suivi et la gestion du marché du travail, par l’organisation et la mise à niveau du secteur informel, la mise en place d'un système d'information sur l'emploi, la régulation du marché du travail et la rationalisation des structures de financement des projets, la mise en place d'un  système national  d'évaluation des apprentissages techniques et professionnels et de validation des acquis de l'expérience , la mise en place de l'Observatoire National de l'Emploi et des Qualifications Professionnelles et l’opérationnalisation du répertoire des métiers et emplois.
Ces politiques gouvernementales sont porteuses d’espoir pour le future de l’informel au Sénégal qui pourra s’insérer facilement dans le tissue formel de l’économie sénégalaise. Cependant, l’harmonisation de ces différentes politiques et le renforcement de l’état de droit, le respect des réglementations en vigueurs, la lutte contre toute forme de corruption, permettent un pont vers l’économie formelle pour l’émergence du pays.
Oumar Ba

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