jeudi 31 octobre 2013

SOCIETE: « Féodalisme » dans le Fouta : Ni tabou, ni occulté !

On peut se réveiller au crépuscule si l’on veut, mais croire que le jour commence à son réveil est une erreur! Je suis tout à fait au navré de la campagne de certains milieux en Mauritanie consistant à fustiger le Fouta pour son prétendu « féodalisme »1 , mot qui n’a d’ailleurs aucune signification dans notre société. Peut-être qu’on veut parler du système des castes? Notre drame aussi c’est d’être obligé d’utiliser des langues étrangères car nous sommes analphabètes dans nos propres langues! Un esclavage mental2 qui devrait aussi avoir ses combattants. A mon très humble avis… Il y a beaucoup de gens qui se réveillent aujourd’hui croyant que le système de castes est tabou au Fouta. En fait c’est un débat qui est dépassé car c’était à l’ordre du jour pendant les années 70! Toute la jeunesse du Fouta a commencé à remettre en questions le manque d’égalité entre les castes et surtout le sort réservé aux Maccuɓe3 a été dénoncé de manière ferme. D’ailleurs toute cette nouvelle idéologie égalitaire a émergé dans les mouvements de jeunesse qui ont commencé à sensibiliser les masses notamment dans des pièces de théâtre, de la poésie et des chansons. Qui n’a pas entendu le fameux hymne « Yontii ummaade, yonta am ummo-ɗee, ñemmben adinooɓe, haɓetenooɓe sabu bone kalfiigu »4 , sur un air de « Eerooy eeraade5 « ? Au début ce n’était qu’un slogan, mais l’action de la jeunesse pour sensibiliser, dénoncer devenait de plus en plus populaire dans les villages du Fouta. Mieux, comme la jeunesse est aussi la force du travail dans nos contrées, les anciens ont commencé à apporter leur soutien à ce mouvement naissant notamment en permettant aux jeunes filles de jouer dans des pièces de théâtre, en publique, ce qui était relativement impensable auparavant. Le mouvement s’est amplifié avec la diversification des activités culturelles, mais aussi sportives. C’est l’époque où tous les villages se réunissaient pour créer un championnat afin d’organiser des rencontres de football l’après-midi et surtout une rencontre théâtrale le soir sur les thèmes les plus chers à cette jeunesse: le Macungaagu6 , le statut de la femme et l’apprentissage du Pulaar. Le Macungaagu (état de servitude) est dénoncé par le célèbre slogan « dimo alaa, diimaajo woodaani, ndimaagu neɗɗo ko golle e balle »7. Ces quelques mots étaient dans leur essence une quasi constitution anti-esclavagiste en ce qu’ils déclarent sans ambiguïté que la noblesse c’est seulement par les bienfait qu’on l’obtient. C’est une manière directe et poignante de dire aux dominateurs que leur position est usurpée car les règles du jeu « golle e balle » ne sont pas respectées! Mais la jeunesse ne s’arrête pas aux mots. Elle passe à l’action en organisant la vie du village autour de cette force qu’est le « yontannde »8 . Désormais, il est interdit aux Maccube de revendiquer certaines tâches dans les cérémonies comme servir, égorger ou découper le mouton ou même faire la cuisine! Au début cela a crée une vive émotion dans les milieux Maccuɓe car c’est une source de revenus qui disparaît, mais aussi pour les Maccuɓe, leur rñole dans la socité allait s’en trouver dévalorisé. Mais la jeunesse n’en a cure. De plus les Awluɓe9 sont priés de rester discrets et de venir en tant que simples invités et d’ailleurs une amende est prévue pour toute personne qui donnerait de l’argent à un gawlo en dehors des « kinɗe »10 . Des tensions ont été notées ça-et-là entre Maccube et mouvements de jeunesse, accusés de vouloir saper les traditions de ces familles entières qui affirment avec fierté leur appartenance à mouvance Gallunke! Mais la force de conviction de la jeunesse, qui puisait sa puissance dans la réalisation de diffétentes actions en faveur du bien être des villages va finir par prendre le dessus. Il devient extrêmement hasardeux d’aller à l’encontre des idées de cette jeunesse qui, par un simple appel, pouvait faire échouer la construction d’un dispensaire ou le « coulage » d’un bâtiment en dur car elle seule a la force de fournir les bras nécessaires pour mener à bien ce genre de travail en un temps record. Je me rappelle aussi des fameux « ɗoftal » pour labourer les champs d’un chef de famille qui était soit âgé ou malade. Un appel est lancé la veille pour aller « accompagner » untel. Le lendemain matin, une horde de jeunes se rencontre derrière le village et s’ébranle en chantant vers les champs! En mois d’une heure, le champs est labouré dans la liesse et la bonne humeur. Souvent, on se garde bien d’alerter la personne qu’on allait aider pour éviter qu’il se sente dans l’obligation de préparer un toufam (zrig local), voire un repas. Qui pouvait défier cette jeunesse anti-esclavagiste et pro égalitaire à l’époque? Personne! Le statut de la femme devient une préoccupation centrale dans ce mouvement. Encore une fois, c’est le chant et les pièces de théâtre que la jeunesse trouve la meilleur forme de sensibilisation. « Suka debbo, puccu seeri e gubbal, humanee tinaani, seeree tinaani »11 devient un des slogans les plus populaires. C’est une dénonciation sans ambigüité du sort réservé à la femme: mariage forcé, répudiations abusives, excision. La plupart des chansons tournaient autour de la fierté d’être fille et l’hommage rendu à la maman. « Suka debbo ummo daro »12 . Nous croyons en toi et sans toi rien n’est possible disait-on parfois dans les chansons. Mais aussi, on appelait les parents à libérer les filles et à favoriser leur entrée dans le système scolaire au lieu d’en faire de futures assistées à la merci des hommes peu scrupuleux. Pendant des années, les mouvements de jeunesse se multiplient dans le Fouta. Les rencontres inter-villages13 ont favorisé l’émergence d’autres mouvements et la jeunesse devient la force incontournable dans tout le Fouta. Parallèlement à cette transformation de la société prônée et imposée par la jeunesse, l’apprentissage de la langue Pulaar est devenu la mode. Il y avait seulement quelques années qu’on nous vantait l’école, ses instruits et sa langue française, symbole de progrès et de savoir. Mais il a fallu d’ailleurs combattre les sceptiques qui éclataient de rire rien qu’à l’idée d’apprendre le Pulaar! Ceux se demandaient « mais pourquoi apprendre le Pulaar? » ont eu cette réponse cinglante de Ibrahima Moctar Sarr14 dans son fameux « Hol ko janngi Pulaar »15 . Ibrahima Moctar Sarr a joué un rôle crucial dans ce mouvement par la force des mots que la jeunesse puisait dans sa poésie. « Alla rokkunoo-mi ɗemngal »… Dieu m’a donné une langue… Pulaar kay ko ɗemngal… Si, le Pulaar « est » une langue16 ! Alors où sont ceux qui nous faisaientt croire que cette langue est vouée à la disparition, qu’elle ne sert ni à véhiculer le savoir, ni à gérer les avoirs! Que dire aussi de l’incontournable apport du plus grand évangeliste Pulaar de l’histoire, Murtuɗo Joop? Décidément, les mots peuvent avoir une puissance, une force qui inspire et qui pousse au changement. C’est pour cela que le Pulaar a fait un bon spectaculaire tant sur la plan de sa codification scientifique que son taux d’alphabétisation. L’intérêt du Pulaar dans ce mouvement était double, voire triple. Apprendre pour tous! Personne ne pouvait être marginalisé car tout le monde peut apprendre quel que soit son origine dans la stratification sociale. D’ailleurs c’est ce qui prévaut jusqu’à présent dans les associations Pulaarophones. Mais aussi, les femmes ont trouvé dans le Pulaar un moyen formidable d’émancipation intellectuelle qui les mettait au même niveau que les hommes. Nous avons encore encore des preuves vivantes du succès de ces femmes que l’on considère aujourd’hui comme des modèles. Mais l’intérêt ultime que la jeunesse trouvait dans le Pulaar est tout simplement de montrer que notre société peut évoluer en étant enraciné dans son milieu, dans sa langue et son mode de pensée. Notre société peut évoluer d’elle même sans importer d’idéologies étrangères, fussent-elles évoluées. Elle peut surtout évoluer en privilégiant l’instruction, la recherche du savoir et la sauvegarde de son patrimoine par le développement de la langue, sans laquelle aucun développement n’est possible. Le ndimlaagu17 passe du golle e balle au ngenniyaŋkaagal, c’est à dire à la maitrise de la langue. Si Ibrahima Moctar Sarr a eu plus de succès dans les années 70 que tous les poètes qui écrivaient en français, langue qui excercait une écrasante domination à l’époque, c’est justement à cause de la présence de cette jeunesse qui mettait le Fouta avant tout, la langue avant tout. La langue pour tous sans discrimination, le sport pour tous sans distinction de caste, le statut pour toutes les femmes, sans distinction, voilà ce que la jeunesse de cette époque a initié. Aujourd’hui, au moment où la langue Pulaar est entrée dans l’ère numérique avec le développement de logiciels18 , la sortie prochaine de Smartphones en Pulaar19 , le système d’exploitation Linux en préparation, si l’on ne parle pas beaucoup du problème des castes, c’est tout simplement parce que le Fouta a déjà fait sa révolution dans ce domaine. On est tout simplement passé à autre chose, à la vitesse supérieure, la vitesse numérique. Ce n’est pas un hasard si la langue Pulaar a connu cette percée dans les moeurs, les mentalités. Une certaine idée de l’égalité de la solidarité et du respect de l’autre est passé par là. Si maintenant il y a des arriérés qui se sentent supérieurs eux autres, ce n’est pas le problème du Fouta, c’est le problème des arriérés. Pourquoi doit-on toujours prendre comme référence les mauvais pour juger le Fouta? Il y en a partout des attardés mais de grâce arrêtons de les prendre comme les représentants d’une société car ils ne le sont pas! Et Dieu sait que je ne suis pas trop bavard mais je me sentais le devoir de recadrer un débat qui devenait vide et trop peu basé sur les faits. Ibrahima Malal SARR

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