Agir contre les injustices à Mboumba: C’est contribuer à la cohésion sociale et à la promotion des valeurs de la République (Par Iba Ciré Ndiaye)
L’ancestralité de Mboumba est un fait connu et reconnu. En effet si
la mémoire peut se tromper, et un témoignage être acheté, on a souvent
pensé à tort ou à raison que le temps des origines ne se trompe jamais.
Les récits sur les premiers occupants de la commune étant variés, on
s’accorde à noter que les Sérers ont été les premiers occupants des
lieux, suivirent les « worgankoobe » (quartiers Dowrouro, Diawanbe et le
village de Subalo-Mboumba), des peul et des manding dans l’expansion
de l’empire du Mali. Le quartier des « Coulibalnabe » ainsi que les
familles Camara, Coulibaly, Dabo, Dembélé, Kébé, Sam, Soumaré…etc. sont
les traces vivantes de cet ancien empire dans notre commune. D’autres
versions s’accordent sur qui seraient les premiers occupants.

Le
commerce entre les arabo-berbères et les communes voisines y était
florissant à quelques mètres d’un lieu très connu qu’est « Dinguiral
Tamarowi » C’est aussi cet espace qui caractérise et symbolise la
résidence limitrophe de l’ « almami ». Parmi les 51 « almami » que le
Fouta a connus, 11 étaient de la famille Wane et originaires de Mboumba.
Le mandat le plus long fut celui de Sada Ibra Wane et a duré 18 mois.
D’ailleurs le terme « Tata almami » outre sa fonction de délimitation de
la résidence de l’ « almami», rassemblait plusieurs familles alliées de
celui-ci sans lesquelles il serait dépourvu d’autorité et de prestige.
L’instabilité du pouvoir était une caractéristique essentielle du règne
des « almami ». Cette instabilité était en partie liée aux luttes
intestines mais aussi aux tentatives d’accaparement du pouvoir.
I – S’intéresser au méconnu du connu : la commune de Mboumba doit beaucoup au Lao, les WANE à Souley NDIAYE II.
L’histoire des institutions dans le Fouta qu’on tente de résumer
ici résulte notamment des travaux de Boubou SALL, 1er Maire de Podor, de
Yaya WANE, Sociologue et des récits que certains tentent d’embellir ou
de dévaloriser par des séquences pour mieux sacraliser un mythe avec le
risque d’instrumentaliser nos semblables.
En bonne logique d’intégration sociale, les institutions
haalpulaar sont souples dans leur objectif de solidarité et
d’intégration des personnes. Malheureusement, par des éloges partiels et
parcellaires, quelques instruits tentent de détourner et de figer
l’histoire pour des logiques visant à satisfaire uniquement leur égo.
La logique démocratique à laquelle aspirent beaucoup de personnes
s’implante progressivement pour être en adéquation avec les nécessités
de justice sociale et de respect de la dignité humaine.
Entre le XIème et le XIIème siècle, le Tékrour (qui regroupait
toute la zone du Fuuta : Dimar, Tooro, Laao, Yirlaabe, Boosoa,
Hebbiyaabe, Damga et Ngenaar) a été dominé par l’empire soninké du
Ghana, puis annexé par l’empire manding du Mali. Ce sont des peuls
Jallunke qui par des résistances farouches ont libéré le Fouta et
maintenu des familles manding : ce sont les Dabo, Coulibali, Cissé,
Camara, Kébé, Tamboura, Soumaré… On retrouve ces familles dans le Fouta
et à Mboumba notamment.
Selon l’histoire légendaire, les premiers occupants du Tékrour
furent les Ja-Oogo, dont le règne aurait totalisé 140 ans. Ils furent
remplacés par les Manding, Soosbe (Manna qui renvoie à Hamady Manna) qui
conservèrent le pouvoir pendant 300 ans.
Après quoi, c’est la première période peule, celle des Jallunke,
appelée aussi Tonjong. Plusieurs dynasties se sont succédé : 2
arabo-berbères, soninké, manding et 3 dynasties peules dont les
Jallunke. Ces dynasties peules constituent l’aristocratie des Denyanké.
Le pouvoir des Almami (Imams) s’est installé progressivement avec
l’accord de Souley Njaay II qui leur a adjoint les membres de sa famille
pour faciliter leur implantation dans le Fouta, notamment à Mboumba.
Sous son règne, Souley Njaay II aura facilité et contribué à
l’implantation de l’« almami ». Il a protégé et valorisé les militants
de l’islam. Il a accordé des « droits de propriété foncière » sur de
gigantesques domaines à beaucoup de familles dans le Fouta notamment
Wane et à Ceerno Sidiiki Daf de Kanel (quartier Thiélol) de Ceeno Palel.
Souley Njaay II a donné sa fille pour épouse à Tapsiiri Amadou Hamat
Wane de Kanel (quartier Laao). Le roi Souley Njaay II a facilité
l’implantation de l’islam et contribué à la création d’un « parti »
maraboutique dirigé par Ceerno Suleyman Baal de Boodé (Laao).
En 1776, Suleyman Baal n’a pas voulu diriger le pouvoir pour
lui-même et mourut en 1778, année où plusieurs provinces du Fouta ont
pris leur autonomie, mais aussi année de la 1ère intronisation des Imams
(Almaameebe). Commandeur des croyants l’« almami » est une déformation
lexicale du terme imamat. Presque 51 « almami » se sont succédé ;
certains comme Yuusuf Siré Aaba LY (Jaaba) revinrent au pouvoir
plusieurs fois. Les « almami » n’étaient pas des discriminants et leur
noblesse d’esprit était liée à leur conception de la justice sociale et à
l’égalité entre les êtres humains.
Ils étaient proches de leurs administrés et partageaient des
espaces communs (cimetière, mosquée…etc.). Contrairement à ce que nous
avons pu lire, il n’y a pas de cimetière exclusivement réservé aux «
almami» : c’était une des preuves de leur humilité et de leur vision de
l’islam. Convaincus que leurs missions résultaient de la volonté du
peuple qui les a élus, ils tenaient à ménager les administrés même si
les affrontements entre les prétendants à la fonction étaient vifs et
sanglants entre certaines contrées.
Un tableau retrace l’accès aux responsabilités des « almami ».
Preuve que Mboumba n’a pas le monopole exclusif de l’imamat
contrairement aux discours souvent véhiculés. Sans l’implication des
familles Ba, Dem, Diallo, Ndiaye et le soutien de certains villages du
Lao, l’almami Birane n’aurait pas remporté la bataille de Jorodou, près
de Ngouy contre l’almami Youssouf Ly de Diaba.
La juridiction de l’ « almami » se limitait à la zone du Lao.
Bâtisseur des mosquées, Abdul Kader Kan a été combattu par le
Damel du Kayor, Amari Ngoné, allié au Burba du Jolof et au Brak du Walo.
C’est à cette occasion qu’Abdul Kader fut prisonnier et détenu pendant 3
ans.
Après Abdul Kader, les « almami » suivants étaient dépourvus de
pouvoir réel. Chemin faisant les institutions de l’Etat moderne
s’installèrent progressivement, certes avec plus de difficultés dans
certaines contrées mais globalement sans problèmes excepté dans le Toro.
L’implantation de l’école permit l’instruction de citoyens, toute
origine sociale confondue, dévoués pour la chose publique.
II - Agir contre les injustices à Mboumba pour pérenniser une communauté de destin paisible
Oui c’est à Mboumba où il a été déjà reçu en 1854 que Louis Léon
César FAIDHERBE est venu chercher des appuis auprès de l’« almami »
Mamadou. Ainsi un accord de défense et d’assistance mutuelle a été signé
ici en 1858 après avoir mis en place un poste militaire la même année à
Matam et à Dimar, où la résistance des femmes à FAIDHERBE fut farouche.
C’était tout le contraire dans le Lao. Le poste de Fanaye verra le jour
un an plus tard, en 1859.
Ainsi, El Haj Omar n’a pas obtenu de l’ « almami » Mamadou du Lao
l’appui qu’il souhaitait. Entre la conquête coloniale incarnée par
FAIDHERBE et la résistance d’El Haj Omar, l’« almami » a préféré
l’alliance avec FAIDHERBE, célèbre lillois du Nord Pas de Calais arrivé
au Sénégal le 5 août 1852.
Comme pour consolider les liens entre Mboumba et le Nord-Pas de
Calais, c’est un heureux hasard que ce département du Nord de la France
d’où est originaire FAIDHERBE finance dans cette commune la construction
d’un lycée régional qui sera de Haute Qualité Environnementale (HQE)
dans le cadre de la coopération décentralisée.
Un ouvrage qui va couronner, somme toute, ce qui fut initié en
matière d’alphabétisation et se traduit par la construction d’une classe
qui deviendra, en 1894 l’école de Mboumba. Chemin faisant l’école
connut de nouvelles constructions en 1951, confirmant ainsi le choix de
faire de cette commune un pôle dynamique d’instruction publique.
Devenu Ministre de l’éducation nationale et de la culture en 1967,
le docteur Ibra Mamadou WANE, natif du village, poursuivit l’œuvre de
l’école laïque voulue par SENGHOR en l’étendant rapidement à d’autres
collectivités comme pour désengorger l’école de Mboumba qui forma les
enfants venant des villages limitrophes. Contre toute étroitesse
d’esprit et tout sectarisme, le Président SENGHOR et son équipe ont
toujours mis en avant la cohésion sociale et les valeurs de la
République pour que les citoyens accèdent à leur dignité d’être.
Ancien interne des hôpitaux de Nice, le docteur Ibra Mamadou WANE,
y joua un rôle fondamental et reprit à son compte cette formule de
Jaurès à laquelle nous adhérons « Assez parlé d’égalité, il est temps de
faire des égaux » et d’abattre donc les cloisons et clivages débiles
volontairement instaurés. En effet, « faire des égaux » était une des
missions de l’école républicaine malgré les obstacles liées aux
discriminations fondées sur le sexe ou l’origine socioprofessionnelle
des parents.
Ceux qui étaient considérés comme étant des captifs de guerre et
socialement classés au bas de l’échelle sociale ont pu accéder au savoir
par l’instruction et donc à un statut plus valorisant. Un grand
obstacle a été levé. « Plus grand est l’obstacle…plus grande est la
gloire de le surmonter » (Molière).
Convaincu que « si l’on est instruit on ne peut pas devenir
esclave » au sens de Lakanal, l’Etat moderne a permis l’instruction et
une plus grande ouverture vers « l’autre ». L’école y joua un rôle
fondamental pour donner au plus durable des édifices, qu’est la
République, la plus solide des fondations qu’est l’égalité en droits et
en devoirs de toutes les personnes. On pouvait espérer que par ses
missions d’instruction, l’école sortît certains de ces anciens élèves
des logiques de discriminations et d’enfermement. C’est oublier
qu’accéder à l’instruction n’implique pas forcément accéder à la culture
et l’ouverture d’esprit.
Aujourd’hui, cette histoire est porteuse d’avenir à condition que
les logiques d’instrumentalisation sociales n’enferment pas les
générations présentes et futures dans un parcours discriminatoire de
marginalisation et de dévalorisation. Parce que cette histoire est
collective selon les contrées, aucune famille ne peut en revendiquer la
paternité encore moins la supériorité.
C’est d’ailleurs signe de danger et de crise identitaire profonde
que d’invoquer sa supériorité et ou son infériorité individuelle ou
familiale par rapport aux individus.
En Europe, Adolf HITLER a voulu manifester la supériorité de la «
race » aryenne en Occident. On sait ce qu’il en est advenu.
Au Rwanda ce sont des discours xénophobes poussés jusqu’à la
classification qui ont conduit aux affrontements entre Tutsis et Hutus
alors que rien de fondamental ne les distingue.
Au Sénégal, malgré l’invocation de l’islam et de lois
républicaines qui prônent l’égalité entre les personnes quels que soient
leurs sexes, origines ou religions, des discours xénophobes et
dangereux continuent de se propager.
Paradoxe des temps, c’est à Mboumba que certains cherchent à ouvrir une page que l’Occident se presse de refermer.
Non à la classification des familles et des personnes qu’aucune
fortune ou infortune ne saurait légitimer ! Assez de souffrances
longtemps ensevelies mais toujours contenues. Il est temps que cessent
les offenses à la dignité humaine.
Que se passerait-il aujourd’hui si à Mboumba la famille DIOUF
d’origine sérer revendiquait ses domaines fonciers accaparés par
d’autres familles ?
Diantre, comment peut-on exercer des fonctions de service public
et agir activement dans le privé pour la dévalorisation, l’humiliation
et la discrimination des personnes ?
C’est connu : l’ivresse du pouvoir rime avec absence de lucidité.
Comment peut-on agir pour que le village que fut Mboumba soit
érigé en commune par le décret n°2008-748 du 10 juillet 2008 et être
réfractaire à l’exercice de la dignité du pouvoir de suffrage, au point
de tenter de bloquer l’institution municipale qui résulte de ce statut?
N’est-ce pas paradoxal et dangereux de vouloir s’accrocher aux «
institutions » haalpular traditionnelles devenues inopérantes par la
force des choses ?
Aujourd’hui plus qu’hier, les préoccupations fondamentales sont,
notamment, « le mieux vivre ensemble » des citoyens de la République du
Sénégal. Cela renvoie aussi à des actions de solidarité, à des
imaginations rassemblant les forces et les énergies de tous les
individus porteurs de dynamiques constructives pour que l’histoire
d’aujourd’hui qui sous-tend celle de demain soit capable de dépasser les
vicissitudes de celle d’hier.
Cet espoir est permis au Sénégal, une terre si fertile en esprits
brillants capables d’impulser des dynamiques porteuses d’avenir parce
que respectueuses de la dignité humaine et contre toute forme
d’asservissement de l’être humain.
Depuis l’application du décret n°2008-748 du 10 juillet 2008 à
Mboumba, c’est l’aube de la liberté et la dignité retrouvée par tous
ceux qui en étaient privés.
Puisse donc, Mboumba ne jamais oublier sa vocation d’ouverture
culturelle et d’intégration des diversités pour continuer de se frayer
un passage paisible dans un Sénégal qui se cherche.
A mes concitoyens, je devais ces propos car me croyant des vôtres
et restant toujours attaché à l’égale dignité des personnes en droit et
en devoir.
Ibra Ciré NDIAYE
Docteur en droit
Anthropologue du droit
Université Paris I-
Panthéon-Sorbonne
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