Ville carrefour qui doit sa renommée à sa bonne viande, mais aussi au commerce florissant, Aéré Lao a joué un rôle important dans l’histoire du Fouta Tooro. Cette ville qui tangue entre l’archaïsme et le semblant de modernité, aspire à devenir un carrefour urbain, rayonnant et attractif. Cela passe, selon les autorités municipales, par une amélioration du cadre urbain, l’accès aux services sociaux de base et la promotion d’un système de bonne gouvernance.
Lieu chargé d’histoire, Aéré Lao a été fondé au 11ème siècle. Ce village, devenu la capitale des Almamy en 1776, changera de statut et sera érigé en cercle en 1910 par l’autorité coloniale avec, à sa tête, un commandant. La localité est devenue, en 1980, chef-lieu de communauté rurale, avant d’être érigée en commune en 2009 lors de la réforme de l’administration territoriale et locale.
Si beaucoup de villes sont réputées pour leurs nombreux commerces, Aéré Lao, situé dans l’arrondissement de Cas-Cas et ceinturée sur les quatre côtés par la communauté de Doumga Lao, doit sa renommée à sa bonne viande, qui est au centre des activités commerciales.
Depuis des décennies, Aéré Lao est devenue une escale privilégiée pour les voyageurs de l’axe Dakar-Matam. Et ceux qui se déplacent pour la première fois en direction d’Aéré, peuvent bien nourrir quelques fantasmes.
Car ce carrefour compte, à lui seul, une trentaine de gargotes et autres dibiteries, mais aussi des charriots mobiles, communément appelés « pousse-pousse », qui fourmillent sur les abords de la route nationale n°2, proposant ainsi de la viande cuite ou grillée. Le visiteur qui débarque pour la première fois peut, à la faveur d’une escale, calmer sa fringale. Une fois qu’on met les pieds à terre, on est aussitôt envoûté par les délicats fumets échappés de toutes parts qui enfument le carrefour.
A Aéré, les vendeurs sont très sollicités par une clientèle toujours affamée. A tout moment, on voit ces spécialistes découper avec beaucoup de dextérité des quartiers de viandes, ou tourner et retourner allègrement de la viande étalée sur un grillage. Beaucoup de gourmets attendent la fin de l’après-midi pour se montrer, attirés comme de l’aimant par les fumets appétissants qui se dégagent de partout et les crépitements de viande sur le feu. C’est à ce moment que l’affluence atteint son summum. Certains marchandent joyeusement et les vendeurs, pour mieux les ferrer, appliquent la politique de la séduction en leur offrant gracioso une tranche de viande. D’autres, bien installés, s’occupent à dévorer bouts saigneux, carrés, côtelettes et autres gigots de mouton ou de chèvre dans une hilarité propre à l’homme au ventre rempli.
Zone pastorale
A
Aéré Lao, on n’a pas besoin d’avoir un portefeuille bien garni de billets pour déguster un délicieux quartier de viande. Les prix pratiqués sont imbattables et il y en a pour toutes les bourses. Quand les véhicules arrivent au carrefour, ils ralentissent. Et la plupart des conducteurs de camions, taxis brousse, bus, cars se ravitaillent toujours à cœur joie avant de reprendre la route. « Quand je vais à Matam ou Dakar, je m’arrête toujours ici pour m’approvisionner en viande. Je ne peux pas m’en passer », confie un conducteur de bus de transport en commun en stationnement. « Ce carrefour est connu de tous les chauffeurs car c’est un lieu où l’on savoure de la bonne viande. En fin d’après-midi et la nuit, les clients affluent et nous en profitons pour leur faire goûter nos spécialités maison », explique un vendeur.
Avec cet afflux, les vendeurs ne se plaignent pas. Ils réalisent de bons chiffres d’affaires, même s’ils ne veulent pas dévoiler leurs bénéfices. Aéré étant une zone pastorale, ils n’éprouvent pas de difficultés pour se ravitailler en moutons ou chèvres. L’élevage y est pratiqué par environ 20% de la population active. Il est la deuxième activité après l’agriculture. Mais à Aéré, n’est pas gargotier qui veut. Celui qui veut exercer ce métier doit avoir une carte professionnelle renouvelable chaque année. Et le chef de poste vétérinaire d’Aéré Lao, Anaby Sène, veille à la qualité de la viande qui est proposée aux populations. Il inspecte les viandes sur pied d’abord et après abattage. M. Sène déplore, cependant, l’absence d’une aire d’abattage qui permettrait de mieux sécuriser le contrôle. Car les gargotiers abattent quotidiennement une trentaine de caprins. « On ne peut pas contrôler efficacement les abattoirs clandestins. A l’époque où Aéré Lao était une communauté rurale, j’ai toujours fait cette demande parce que mon travail consiste à veiller sur la qualité de la viande. C’est pour autant de raisons que les autorités municipales comptent construire un abattoir afin de mettre de l’ordre dans cette activité, régler davantage le problème d’hygiène de la ville et réduire le vol de bétail », explique-t-il. « Ici, on peut vous voler facilement votre chèvre avec ces abattoirs clandestins, etc. », informe Djibril Ly, premier adjoint au maire.
Une ville, de grandes ambitions
Aéré Lao, ce n’est pas seulement la bonne viande. Longtemps considérée comme un grand village à défaut d’être une grande ville, cette commune, qui s’étend sur une superficie de 3 km² et qui comprend cinq quartiers (Aéré Mbaybé, Aéré Wourou Diéry, Aéré Halaybé, Aéré Barobé et Mbissane), offre une image d’une cité qui peine à amorcer son décollage, à tous les niveaux, qui lui permettrait de répondre aux exigences des temps modernes. Après près de quatre ans de vie de commune, les autorités municipales affichent un sentiment de satisfaction, malgré les nombreux défis qui restent encore à relever. «Aéré Lao fait partie des rares villages où les populations se sont battues pour que leur localité soit érigée en commune. A chaque fois, ce sont des contingences politiques qui nous le privaient», se souvient Ibrahima Sy, enseignant, habitant à Aéré Lao. C’est après les élections locales de mars 2009 que la première équipe municipale dirigée par Samba Hawa Ly a été installée.
Celle-ci avait fait de la question des ordures ménagères une super-priorité. Hélas ! L’image qui reste gravée dans la mémoire du voyageur qui traverse le garage de cette commune est celle de l’insalubrité due certainement aux gargotes qui polluent le long de la chaussée. L’enquête du Plan d’investissement communal (Pic) a, selon Djibril Ly, premier adjoint au maire, a révélé que les populations se désolent des ordures ménagères déversées un peu partout dans la ville notamment au garage. «On fait des opérations ponctuelles de nettoiement du garage. Malheureusement, les gens ont acquis de mauvaises habitudes. On a du mal à sévir. Dès que nous sentons que les choses débordent, nous venons pour évacuer les ordures», précise M. Ly, qui indexe l’absence de service d’hygiène dans la commune. «Il en existe qu’à Pété, qui est situé à 50 km de Aéré Lao. Les agents de ce service ne viennent faire des opérations dans la commune que périodiquement», ajoute-t-il. Et le premier adjoint au maire révèle que la commune dispose aussi d’un autre programme de lutte contre les déchets plastiques avec ses partenaires étrangers.
Marché hebdomadaire
Le premier adjoint au maire demeure convaincu que l’érection d’Aéré Lao en commune constitue une aubaine pour les populations. «Il y a un rapprochement entre l’administration locale et les populations dans beaucoup de domaines comme la santé, l’éducation, etc.», précise M. Ly. Dans le but d’améliorer les conditions de vie des populations, des extensions hydrauliques ont été faites au profit des quartiers périphériques tels que Wouro Woydou, Belel Touly, etc. Sans oublier l’aide aux nécessiteux ainsi que les associations des jeunes et des femmes. «Aéré Lao vit mieux sa situation actuelle comparée à l’époque où ce village était chef-lieu de communauté rurale. Tous les problèmes sont discutés à la mairie et les séances sont ouvertes aux populations. Il y a une proximité entre l’équipe municipale et les populations», se réjouit le premier adjoint au maire. Toutefois, souligne-t-il, à l’image de certaines collectivités locales du pays, la commune tire l’essentiel de ses ressources sur les taxes municipales. « Notre première source de revenus demeure les taxes, même si les gens peinent encore à épouser carrément ce geste. C’est insignifiant par rapport à notre ambition. Malheureusement, les gens ne sentent pas la nécessité de s’acquitter de la taxe», regrette-t-il. Le marché hebdomadaire constitue aussi l’autre source de revenus pour la commune. «Les recettes issues de ce marché varient en fonction des périodes», soutient Thierno Kénémé, deuxième adjoint au maire.
C’est dans le souci de résorber ce déficit en termes de recettes que la commune a noué un partenariat avec la coopération espagnole, via le programme intégré de développement économique local (Pidel) qui leur a permis d’acheter des batteuses et des décortiqueuses en collaboration avec le centre d’appui au développement local de Cas-cas. « Aéré Lao est une zone rizicole », précise-t-il.
Baïdy Kathié Pam, résistant ou révolutionnaire ?
Le nom de Baïdy Kathié Pam ne dit rien à certains. Pourtant, il s’était illustré, dans le passé, par sa farouche opposition à la colonisation. De ce fait, il avait tué l’administrateur colonial, Abel Jeandet, le 2 septembre 1890 à Aéré Lao, avant d’être lui-même exécuté huit jours plus tard. Le parcours guerrier et pathétique de cet homme, originaire de Guia, village situé à quelques kilomètres de Podor, nous a été conté à Aéré Lao.
Bon nombre de Sénégalais ont certainement entendu Baba Maal chanter les louanges de Baïdy Kathié Pam, mais ignorent l’histoire de ce héros du Fouta qui a dit non à l’oppression des colons. Il fait partie de ces personnes qui ont payé de leur vie pour contrecarrer la pénétration coloniale dans le Fouta ou dénoncer certaines pratiques inhumaines à l’époque coloniale. C’est sa farouche opposition à la colonisation qui l’a poussé à éliminer le commandant Abel Jeandet le 2 septembre 1890, à Aéré Lao, avant d’être lui-même exécuté huit jours plus tard. C’est Thierno Kénémé, deuxième adjoint au maire d’Aéré Lao, qui nous aidés à comprendre la triste histoire de Baïdy Kathié Pam. Cet événement malheureux est survenu au moment où la pénétration coloniale battait son plein dans le Fouta Tooro. En cette période des «Almamy», guides politiques et religieux qui dirigeaient le Fouta Tooro depuis la «Révolution théocratique» de 1775, certaines provinces avaient à peine voix au chapitre. Les Français qui avaient à cœur le démembrement du Fouta Tooro, soutinrent et entretinrent les velléités autonomistes des chefs politiques des régions périphériques qui «se considéraient politiquement comme marginalisés». Dimat qui était la province la plus vulnérable et la plus proche du Waalo Barak, fut annexé par les colons du Sénégal grâce au «traité» du 18 juin 1858. La ratification de l’annexion du Dimat à la colonie du Sénégal exposa son signataire, Abdoul Boli Kane, à de violentes remontrances de la part des défenseurs de l’intégrité territoriale du Fouta Tooro. Quelques semaines après la partition du Dimat, Abdoul Boli Kane fut assassiné pour avoir entériné la sujétion d’une région du Fouta Tooro à Faidherbe. En août-septembre 1890, un autre fait allait survenir. En pleine campagne contre le Boosoya, l’administrateur colonial, Abel Jeandet, avait reçu l’ordre de réunir un contingent du Tooro pour concourir, si besoin était, à l’action du colonel Dodds, le commandant supérieur des troupes de la colonie contre Abdoul Bocar Kane et Alboury Ndiaye au Boosoya. Des groupes opposés à la présence française parcouraient la province pour convaincre les habitants à ne pas répondre à l’appel de l’administration coloniale. Un jeune homme d’environ 24 ans du nom de Baïdy Kathié Pam, originaire de Guia, village situé près de Podor, s’était fait remarquer particulièrement par son hostilité contre celui qui supervisait la levée d’une troupe dans le canton de Guédé. A Aéré Lao, il tua d’un coup de fusil Abel Jeandet, en présence de Boubacar Abdoul Kane. L’ancien laam tooro Sidiki Sall, Mamadou Yéro Sall et Boubacar Abdoul Kane furent accusés de complicité et arrêtés. Pour dissuader les populations de toute velléité de révolte, un procès fut organisé immédiatement à l’issue duquel Baïdy Kathié fut exécuté le 10 septembre 1890 sur la place publique de Podor devant tous les chefs du Tooro. Comme il se vantait d’aller au paradis pour avoir tué un « infidèle », l’administrateur en mission spéciale, Aubry-Lecomte, fit jeter son corps en pâture aux crocodiles du fleuve et sa tête, mise au bout d’une pique, fut exposée à la place de Podor. Sidiki Sall et Mamadou Yero Sall furent pendus nus, cinq jours plus tard. Leurs corps furent ensuite exposés à la même place de Podor. Boubacar Elimane Kane fut, quant à lui, libéré, faute de preuves.
Aéré Lao, l’escale incontournable des amateurs de bonne viande
La santé constitue l’une des problématiques des autorités municipales. Pour une population de plus de 32. 000 habitants, Aéré Lao ne dispose que d’un poste de santé fonctionnel. Le second bien que construit ne l’est pas encore. Même avec celui qui fonctionne, le plateau technique laisse à désirer, regrette le premier adjoint au maire. «Il ne parvient pas à satisfaire la demande des populations. Les gens sont obligés d’aller à Ndioum ou Dodel pour se faire soigner», poursuit-il. Dans le but de soulager les populations, et face à l’exigence financière que requiert la construction d’un centre de santé, les autorités municipales veulent construire une salle d’hospitalisation digne du nom dans le poste de santé. «Le financement est sur place, l’appel d’offres a été fait, de même, l’entrepreneur a été choisi», révèle-t-il. «Nous accompagnons, chaque année, le comité de santé à travers les fonds de concours et de dotation», précise M. Ly. Pour sa part, Thierno Kénémé, deuxième adjoint au maire, révèle que sa collectivité locale a définitivement réglé le problème de l’état civil. « Ce sont les délégations de signature qui posaient problème. Mais heureusement, le maire est toujours là », dit-il. Selon lui, la chance des populations d’Aéré Lao est d’avoir élu un maire et des conseillers municipaux résidants. L’insécurité n’épargne pas Aéré Lao. L’absence de brigade de gendarmerie favorise le grand banditisme dans la zone, selon M. Ly, «On constate de plus en plus des cas d’agressions et de vols de bétail, car Aéré Lao est un carrefour, on retrouve toute sorte de personnes », note-t-il. Les politiques communales définies dans le plan d’investissement communal d’Aéré Lao révèlent la vision, à long terme, des acteurs locaux de l’image et de la posture qu’ils veulent donner à la collectivité : un carrefour urbain moderne, rayonnant et attractif. Pour concrétiser cette vision, un certain nombre d’objectifs a été décliné. Quatre points ont été retenus pour un développement harmonieux et intégré de la commune : améliorer le cadre urbain, renforcer la qualité et l'accès aux services sociaux de base, favoriser la création de richesses et promouvoir un système de bonne gouvernance participative. C’est dans cette perspective que la commune d’Aéré Lao a souscrit à deux programmes pour la promotion de la bonne gouvernance : le budget participatif avec l’Ong le mouvement citoyen et programme de certification citoyenne avec le forum civil. «Le budget participatif nous permettra de faire participer les populations au processus d’élaboration du budget. Nous voulons impliquer les populations. Alors que la certification vise la transparence dans notre gestion. Nous voulons que les populations comprennent les enjeux de la communication. Nous ne sommes plus dans un monde où c’est l’Etat qui fait tout », dit-il. « Aéré Lao ne peut pas se développer sans ses fils », soutient M. Kénémé.
Excellente présentation de Aéré Lao! Félicitations !
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