lundi 5 mai 2014

Enjeux de la communalisation dans les relations de pouvoir et d’autorité au Fouta Toro

Aussi glorifiée que fût l’histoire du Sénégal, on savait déjà qu’en justice sociale et en démocratie, le Fouta avait peu à offrir. Le décret n°2008-748 du 10 juillet 2008 va permettre à nos communes de retrouver l’audace d’un nouveau souffle et a ouvert une porte par laquelle on peut enjamber le passé pour relever de nouveaux défis. Du fait de la communalisation, toute personne réunissant les conditions juridiques d’éligibilité peut prétendre aux responsabilités de premier magistrat d’une commune. Par ce biais, s’instaurent de nouvelles relations de pouvoir et d’autorité garanties par les lois républicaines. On passe d’un système héréditaire confisqué et opaque à un système démocratique plus transparent et soumis à des indicateurs d’évaluation. Il est heureux qu’il en soit ainsi.  
Lorsqu’on s’oppose aux valeurs de la République, on devient un vecteur permanent de tensions, de conflits et de crise. On cherche encore à comprendre les raisons de l’animosité persistante et les ambitions personnelles contre les valeurs républicaines qui régissent les relations de pouvoir et d’autorité. Ce qui nous conduit à mettre l’écriture en mouvement.
1 – De quoi s’agit-il ?
Il y a un conflit de valeurs entre la communalisation et la frustration existentielle liée à une désespérance sociale perceptible à Mboumba et dans d’autres communes du Sénégal.
Il s’agit de conjurer les tristes effets d’une histoire tronquée en s’appuyant sur une démarche qui dégraisse l’histoire et le vécu des pesanteurs de la légende et des récits fantasmés.  Des discours consistant à tirer sur les ficelles du temps ont tenté vainement de dégrader les faits historiques. Le rappel de ces faits révèle une solidarité à partager et non une force à mettre en œuvre car comme le rappelle Jean Vanier, « Le pouvoir fait peur, l’humanité attire ».
En déconstruisant le champ de l’objet, notre démarche participe à la réflexion sur la fragilité humaine et dévoile le jeu de construction des légendes improductives. Il convient de sortir de la charge émotionnelle que peut générer une contribution écrite pour entrer dans le fond du débat. Pour être constructif, ce débat doit s’appuyer sur des comportements et des discours empreints de retenue, de respect et de correction de tous les acteurs liés pourtant par une fraternité incontestable.
En instituant la communalisation, les pouvoirs  publics ont franchi une étape hautement positive dans la construction et la consolidation de la nation et de la République sénégalaises. Ce bon qualitatif mérite un regard attendri et expert. Qu’on se rassure, la distance ne fait pas déserter les citoyens de la vie de la cité.
L’administration d’une commune ne doit pas être que dans la simple gestion ; elle doit aussi se projeter dans la cohésion sociale et la maîtrise des évolutions de la société. Jamais distrait par des aspects secondaires, l’édile de Mboumba,  qui ne doit rien à personne, s’y emploie avec une probité indispensable à l’exercice d’un mandat politique. En agissant ainsi, la commune est libérée des pulsions irrégulières de la tentation. D’autres communes sont dans cette même dynamique qui consiste à œuvrer pour « le bien public » en étant  au service de tous ses semblables : une cause noble. L’autorité n’est pas une épreuve de force où l’on cherche à écraser les autres ; l’autorité, c’est savoir être au service des autres car l’objectif à atteindre, c’est la dignité d’être et non d’ériger des modèles de puissance personnelle. Les tensions et violences récentes enregistrées dans certaines communes, notamment à Matam et Tambacounda nous rappellent ce qu’il convient de ne pas faire dans un système démocratique et la nécessité d’agir pour une communauté de destin paisible. C’est notre devoir, à tous, de faire en sorte que les élus soient des modèles de rigueur et d’honnêteté dans la gestion des affaires.
La communalisation a ouvert de nouvelles portes nous questionnant sur nous-mêmes et sur les rapports à l’altérité.
2 –Quels discours et représentations d’un monde et d’une société justes peut-on donner au Sénégal ?
En privilégiant les valeurs de la République dans nos conduites et comportements, on s’inscrit positivement dans une dynamique de cohésion sociale, de mieux-être et de mieux-vivre ensemble, facteurs stimulants pour le développement économique, culturel et social tant aspiré et récemment traduit par le « Plan Sénégal émergent » (Pse) que relaie Aboubacry BA (revue Gouvernance, n°15, mars 2014, p.5) ; l’expert rappelle fort justement que les fonds extérieurs mobilisés (3729,4 milliards de Franc Cfa) appellent à une mobilisation de toutes les forces vives pour traduire en réalité concrète pour les sénégalais cette « prime à l’exemplarité » qu’il invoque. De tels appels à plus de solidarité et à plus d’équité dans l’espace public se heurtent malheureusement souvent aux discours discriminatoires, incarnations des pesanteurs qui tirent le Sénégal, que dis-je, l’Afrique vers le bas.
Que ces propos aient fendu l’armure en pourfendant les idées reçues et l’histoire tronquée, ne doit pas faire oublier les cicatrices des plaies durcies par le temps qu’ont subies certaines familles humbles et ébahies dans le Fouta mais dignes.
On ne peut que s’agacer publiquement lorsque s’organisent et se véhiculent des discours de « surestimation de soi » au détriment des valeurs qui fondent la République. Une telle conduite tente d’opposer à ceux qui en sont exclus un constat d’impuissance qui produit, en filigrane, un sentiment de résistance. Amarrés sur le quai de l’immobilisme, ceux qui perpétuent les injustices et les querelles personnelles ne sont pas disposés à livrer toute leur cargaison dont le contenu remet en cause la liberté des personnes de vivre dignement : une telle logistique est dangereuse et obsolète pour le Sénégal. Nous devons avoir le courage de perpétuer les valeurs républicaines.
Notre préoccupation est de rapporter le fait social discriminatoire aux logiques de domination qui le fondent. Il s’agit de restituer l’état des faits sociaux et des relations qui sont le produit de notre société dans laquelle il convient de sortir des discours complètement déconnectés  des évolutions du monde postmoderne. Les injustices vécues par le Peuple noir en Afrique du Sud, en Europe et aux Amériques ne peuvent être reproduits par des noirs contre des noirs. C’est de l’ordre de la démence qu’un noir s’estime supérieur à un autre noir, qu’un être humain s’estime supérieur à un autre être humain : cela frise plus que « l’inconscient ». S’agacer contre de tels discours et conduites ne suffit pas. Il faut les combattre avec détermination et fermeté.
Les conduites reprochées entrent dans une logique de « surestimation de  soi » se positionnant au-dessus des lois de la République. Certains récits lus dans les réseaux sociaux frappent par leur impertinence et incohérence ; il s’agit, sur le plan social, de personnalités non abouties, de troubles pouvant abolir le discernement de personnes possédant une maturité citoyenne avec une immaturité psychologique. Le positionnement dans un groupe sous-tendu par l’acceptation des règles de socialisation républicaine pose problèmes aux personnes rigides et centrées sur elles-mêmes. Cette capacité à défier le bon sens capte l’attention car malgré l’instruction, les repères de socialisation républicaine sont assez pauvres. Il y a plusieurs carences du respect de l’autre qui est rarement perçu en tant qu’égal sujet de droit. De telles carences vacillent entre « l’ignorance » et « l’insoutenable légèreté de l’être » analysées par Milan KUNDERA en 1984 et 2003. Le talentueux écrivain natif de Brno, en Bohême, ne s’était pas trompé de qualification.
Les provocations et les oppositions caractérielles de part et d’autre mènent à l’impasse. Il est question de reconstruction de tous pour rentrer dans le jeu républicain de socialisation. D’où qu’elle vienne, la provocation est contreproductive. Un minimum de sérénité et de qualités visionnaires s’imposent à tous.
Quelles sont les carences affectives et éducatives qui sont à l’origine de telles conduites, de tels discours ?
Dans ces travaux remarquables, John BOWLBY (1907-1990), célèbre psychanalyste anglais, a donné un contenu clinique à de telles conduites qui sont liées aux carences affectives de soins maternels chez certains. Ce sont des personnes qui ont eu une enfance malheureuse, infériorisée, délaissée et qui ont évolué dans un entourage haineux. C’est dans ce même ordre d’idées qu’il faut comprendre l’incontestable richesse des travaux de Hannah ARENDT (1906-1975), philosophe allemande naturalisée américaine qui a analysé les conditions d’émergence des totalitarismes jusque dans ses facettes génocidaires.
Qu’on ne s’y trompe pas : ce sont donc des discours discriminatoires et haineux qui avaient « fait pousser la petite moustache hitlérienne ». En Afrique, en Europe et dans le reste du monde, les nazillons reproduisent des discours et pratiques discriminatoires. Les discours de « surestimation de soi » n’en sont qu’une étape.
En soi, notre rapport à l’histoire des relations humaines doit être différent de celui des générations qui nous ont mis à genoux par leurs discours et pratiques discriminatoires. Ce fut un des motifs de combat pour Nelson MANDELA, Martin LUTHER KING, Aimé CESAIRE, Olympe DE GOUZE, Jean JAURES…
Au Fouta, toutes les dynasties ont régné. Aucune dynastie n’est plus légitime qu’une autre. Chaque famille à Mboumba ou dans le Fouta est rattachée à une dynastie régnante. Certes le règne des Denyanké, a été le plus long : de Koly Tenguella BA à Boubacar Fatimata en passant par l’incontournable Souley NDIAYE II.
Au Fouta comme ailleurs dans le Sénégal, la parentalisation a remplacé les confrontations entre différentes dynasties. Ce qui contribue à cimenter la NATION, « ce commun vouloir de vie commune», expression chère à Ernest RENAN.
Dans le contexte de la communalisation, les discours, les conduites et les pratiques des personnes nous conduisent à analyser et restituer des faits historiques pour en tirer un maximum d’effets adaptés à notre temps pour dynamiser les relations humaines actuelles. L’intérêt général doit nous conduire à des comportements plus adaptés à une vie citoyenne paisible.
Vous l’avez compris, il faut regarder l’histoire du Fouta et du Sénégal sans le voile des illusions et des discriminations. C’est en regardant le monde avec lucidité qu’on peut agir sur lui. Dans l’intérêt du Sénégal et pour la liberté des Sénégalais, il ne faut avoir aucune complaisance ni connivence pour toutes les formes d’injustices car « La liberté est incompatible avec le repos : il faut opter» comme le disait Jean-Jacques ROUSSEAU.
En effet, c’est au prix de la lutte pour la liberté et les valeurs de la République que « le champ de l’histoire demeurera un champ d’honneur ».
Ibra Ciré NDIAYE, Docteur en droit Anthropologue du droit Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne


LE SOLEIL                                                                                                                                 

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