mercredi 22 janvier 2014

Murtudo ou la décharge intellectuelle*


« Je suis un exilé sans problèmes d’immigration. Mes papiers, je les porte sur la gueule. C’est un privilège, et j’en suis conscient », Léo Ferré (Lire Le Monde, Hors-Série, juillet-août 2013).


Gorko mo :
« Cilbee Mbaañ, cile e leydi Hammadi
Hammadi Kundo e Dewa Kundo e Paate Kundo
Cuudi tati, gabi tati
Wooturu waaldi saayna to joobbe Mbaañ
Doon woni Cile do yibbe e yiiwoole
Do yiiwata jamma, bewlaali weetndoogo
Do yiwi wuubii e daande maayo
Tufnde Buyel mukdaad
Cilbe Kaayel jeeri hodi e waalo jiimi e ceene
Luggere fudnaange, Luggere hiirnaange
Do Dundu mawndu wadi maakaa e ngorel daande maayo worgo
Wuro laamorgo Mammadu Sukeyni ganndaado hanki e Fuuta. » (pp. 3-4).                                 
Mamadou Samba Diop, murtudo muurteende mawnde nde alaa parallèle hande. Saalaaw o ?urtaani o murtu comme l’indigné Stephen Hessel, pour comparer. Wullango Boolumbal me bouleverse dans son verbe Pulaar, ses rimes si riches et son rythme cavalier. Enfin je veux dire qu’en lisant Murtudo, j’entends les sabots des chevaux, l’éclat des épées souillées de sang ennemi et le cri strident du guerrier intrépide qui transperce sa victime. Mamadou Samba Diop murtudo haa yeeso « Maayde » titre de l’un de ses poèmes qui s’ouvre comme suit :
« So mi wirtimaa genaale ;
Mi miijoo be ceerti e penaale
Kala joobinoodo ko moyyi ma o male
Aala ko hiisetee so wonaa golle. » (p. 42).

Wullango Boolumbal porte une partie de golle ma…

Murtudo fait partie de ceux qui ont permis de faire comprendre au « renndo fulbe wonde bawdi ndimaagu ndillirta tan ko pinal e ganndal. Ko duum wadi Murtudo jabi waasande lenol mum cellal e nguurirka to bannge laamu, ko aldaa e simmitaare, eete hay gonngol o siimtinaani tuma nde o simmminaa mette de cammitaaka ko foti no emmbere » (« Konngol ARED », in Wullango Boolumbal, ARED, hitaande 2002, p. 4).
Lui, donc, transperçait avec sa plume plongée au fond de sa conviction et surtout puisant son inspiration dans la lie de cette humilité si légendaire qu’il nous laisse en héritage. Quel homme ! C’est un exemple ! Merci Murtudo !
Wullango Boolumbal coule comme une eau limpide entre roches blanches, rouges et basaltiques. Quel homme ! Quelle autre parole si chargée, rythmée et bien cadencée, pour que l’armée avance vers le combat et l’ultime d’entre eux, peut rendre preux tout peureux ? Oses-tu me dire que cet homme, que j’ai connu de si près, était méchant et que la guerre l’enchantait ? Non Wullango Boolumbal est témoin d’une densité et d’une vision presqueprophétique que chaque communauté humaine doit préserver chez elle en refusant d’admettre de se démettre de son « neddaagal » pour ne pas dire son ultime « ndimaagu ».
N’est pas poète murtudo qui le veut ! Murtudo est un poète dans le sens profond que j’entends faire dire à la poésie dans ce texte-hommage à ce grand sage. La poésie est pour moi le summum du texte fini, infini et donc toujours contemporain de toutes les époques. Elle est intemporelle. Elle hache les mots, les isole et les pare de rythme qui cache toute la force philosophique de celui qui la déclame. C’est cela le rythme du cœur de l’auteur qui reste vivant tout le temps ! Murtudo, murtu haa aljana sa yiddi !  Ta philosophie (ene luggidi) est encore là et sera toujours là après nous. Quel homme ! Il était sans âge.
Tout vers chez lui est une lance brûlante. Sa rime marque la détermination dans le combat, sans repos. Elles font tomber tous les vers, de la pomme, dans une transe incroyable. Murtudo est un poète ? C’est un chanteur ? C’est un troubadour te diront ceux qui sont hors et dans le décor de son texte, et qui ne perçoivent pas le sens réel de son humilité qui le fait ressembler à un égaré. Eh bien, devant les avatars de la vie, il est peu de gens qui s’attachent à sa face luisante. Il en fait partie, s’il n’en est pas le maître. Donc, l’humilité du murtudo, Murtudo, fonde son sens du yurmeende mais aussi cette demande insistante de se lever de soi-même (ha?taade). C’est extraordinaire que notre combattant, poète, philosophe, humoriste/jovial invétéré qui cavale avec les concepts les plus profonds et les plus combattifs de cette langue Pulaar qu’il maîtrise.
Dans sa bouche, le Pulaar voltige et le contenu des salles repart le cœur, sur le point d’éclater, parce que si gonflé de philosophie. Murtudo aan tey murti, murtini haa heddi (hedii). Hol palotoodo ilam maa ?Personne ne peut barrer la route à ta poésie si pleine et si engagée comme un vrai waame. Elle vibre et irrigue les veines des preux parmi les sagataa?e. Elle dit ceci dans « Haayoo Pulaar » :
« Ko min roondii?e donngal Pulaar, min pahataa,
Do ngal hatojinaa fof, min nawat min pukkata,
Ko min konunkoo?e ?e ?erde taktake de kulataa,
Ha?antee?e Pulaar be tampataa, pooftataa » (p. 70).

De vous-mêmes, vous avez senti ce rythme soutenu (presque ripaango walla digaango !), mais qui nous interdit toute possibilité de nous plaindre d’un quelconque essoufflement qui peut bien figurer la fuite et la peur. Ah oui Murtudo est un vrai murtudo quand il dit « min pahataa ». Quelle autre sentence peut mieux nous convier à la poursuite du combat haa laakara ? Aan tey murti Murtudo ! Donc interdiction d’essoufflement (« tampataa ») et pas de repos possible (« pooftataa »). Aïe Murtudo, le combat est donc si dur et si long avant la découverte de la saveur de ses fruits ? Tu nous l’as démontré encore une fois en entamant le voyage éternel avant nous et nous sommes donc tes héritiers. Murtudo, au Paradis, murtu kaadi murteende. Miin wii ! Car tu nous donnes la recette de cette endurance dans le combat, en nous exhortant à conserver l’un des piliers de notre raison de vivre : notre langue, en ayant des « ?erde taktake de kulataa ».
Oh maître de la parole profonde tu nous manques tant ! Mais Wullango Boolumbal restera au chevet de tout veilleur. Ce n’est pas un livre de contes et de devinettes, mais un programme. Bataakema yettiima Murtudo !
Quel homme ! Il faut toujours aller chercher là où la générosité intellectuelle et combative prospère pour y puiser notre courage. Elle se cache en se livrant dans les œuvres littéraires écrites dans nos langues nationales. Wullango Boolumbal en est un excellent exemple. Qui me soupçonnait de grande sympathie pour Murtudo et ses noddaali, gullaali e luukaali haa daande saadi ne doit plus douter de mon alignement. Comment donc ne pas croire aux appels de Murtudo ? Un révolté ! Ah oui, un révolté jusqu’à la dernière demeure. Lis son poème « Habay ! » Quand j’ai lu le titre « Habay ! » avec l’exclamation qui le rehausse, j’ai senti mes épaules s’élever d’elles-mêmes. Parce que « habay ! » s’accompagne d’un geste qui signifie un vigoureux et irrévocable refus. Ah oui, mais « habay ! » haa womnde… Vraiment Murtudo ko murtudo quand même. Haay gombal ! « Habay ! » et rien d’autre ! Mais un refus est un refus, c’est aussi simple que niet.
Chantons en chœurs, après Murtudo :
« Leydi mahiinde e fenannde e tooñannge deeyataa ;
Mawdo leydi gooñiido, laamu mum yuumtataa ;
Badoowo ko boni ubbira penaale, mo nimsataa;
Canndolindo kurmudo, cayaado mo yurmataa ;
Fecci leydi, sari ?esngu mum, hunii be ndentataa ;
Wammbi demngal mum, yabbi de janane, waati de potataa ;
Burni lenol mum, so wonaa kanngol moyyere haandatataa;
Innitorii Lislaam, ñaayiri golle de peertudo wadataa ;
Deeli yiiyam, teeti jawdeele, wi’i o iddataa;
Yaltini leydi be mbonaani, wi’i o artirtaa;
Oon yiiyiyo, dewdo e mum, diine mum sellataa;
Dankaro, muddiddo, muukiido, mo faamataa;
Manndillo Yiiyam, takkido e mum laa?ataa.  » (p. 28).

Ouf, je suis entre le rire fou de celui qui entre dans le sens profond des mots et la larme de celui qui est frappé par leur brillance. Incroyable ce « ataa » qui rime ce poème où on sent Murtudo sur un coursier omo soppa leskoyee des ennemis de l’Homme. Parce que tout simplement Murtudo, tout en restant ancré dans sa profonde et indicible fulanité, est un Homme et défend à travers cet Homme brimé l’Homme tout court. Comment d’ailleurs peut-il en être autrement sauf si les analystes du discours portent leurs propres œillères pour y voir le simple cri d’un haalpulaar murtudo. Non Murtudo poétise, philosophe sur l’Homme ancré dans sa culture, veilleur et surtout transmetteur de cette valeur intrinsèque qui fait vivre toutes les cultures du monde. Wullango Boolumbal va au-delà de ce cercle restreint de l’étroitesse ethnique, régionale et linguistique. Wullango Boolumbal est une ode à la reconnaissance de la différence et surtout à sa préservation dans un environnement plus sein que celui de « Leydi mahiindi e fenaande ».
Comment s’étonner de la longueur et de la luisance de l’éperon de Murtudo ? Son cheval doit bien foncer, les jarrets en l’air. Là « Jaambaraagal » me revient à l’esprit. Ce poème est un soldat couché en vers sublimes et ré-vivificateurs.
Suivez :
« Ñande fitina rummbini leydi maa,
Maslahaa ronkaa, lorli jibinande maa,
Rippu e gi’e, ada ?oori pade maa,
Yuwto, tokkit labi, cettal, juulaawi maa,
Yollo sumalle ñomoko, fertina terde maa,
?aañoroo sammunde ngulnaa ?anndu maa,
Falko sanngalde, kul?ina gano maa. » (p. 22).

Vraiment là, Murtudo ko murtudo trop même, et trop même je dis bien. Je vous jure que j’ai ri comme un fou la première fois que j’ai lu ses vers. J’en ris là à l’instant alors qu’il fait tard le soir. Les voisins du palier doivent se dire ce monsieur doit être un peu dérangé. Eh bien, je suis trop dérangé même, par Murtudo quand il décrit ce que doit être un vrai soldat, celui qui combat pour la sauvegarde et surtout le respect de son essence humaine. C’est incroyable ! Sur chaque vers, dans chaque mot je vois la bravoure et la preuve supplémentaire que la poésie est un trésor. Murtudo crée ici un soldat véritable monstre « Falko sanngalde, kul?ina gaño maa. » ! Wallaay Murtudo ko murtudo haa abadaa. Oui, il est dans la postérité que consacre sa longue et douloureuse lutte. Elle fut très douloureuse, car lui-même le décline en ordonnant au soldat-monstre, que lui-même s’imagine au devant du combat, « Rippu e gi’e, ada ?oori pade maa ». J’étais fou d’un rire, non-rire, un rire qui détermine la réalité de mon alignement à la profondeur philosophique et pratique de ce murtudo. L’entraînement militaire dans toute sa rigueur y est décliné. Superbe marche et cadence de tous ces tooñaa?e, dumbaa?e, fellaa?e, heydinaa?e jusqu’à deportaaa?e ! Une seule et même troupe chantant « Maw?e Fuuta?koo?e » (pp. 94-102).
Nguurtinen’moen rendant compte de la densité enfouie dans ces poèmes qu’il nous laisse comme l’une des multiples traces, indélébiles, de son dévouement pour la cause Humaine en Mauritanie. Et pour vous en convaincre lisez le poème « Leydi am ! » (p. 51).

NB : Nos jeunes futurs sémioticiens, linguistes, littéraires, philosophes, historiens, politiciens et tous nos rhéteurs peuvent puiser dans ce Wullango Boolumbal l’un des sons qui déterminent sa musicalité philosophique et qui les intéressent pour la construction de leur propre discours.

Bibliographie

Mammadu Sammba Joob (Lollirdo Murtudo) 2002, Wullango Boolumbal, Ndakaaru, ARED, 111 p.


Abdarahmane NGAÏDÉ (Bassel), UCAD/IEA de Nantes

* Prendre décharge dans le sens électrique du terme (kaayel manaango), et dans ce qu’elle concentre comme ions positifs qui figent, mortellement, l’électrocuté. En fait, c’est ce Z que Zorro laisse, comme signature, sur le corps de ses victimes ou sur la surface de tous les lieux qu’il visite pour rétablir la justice. C’est dire, donc, que la poésie de Murtudo est un torrent (yiriinde, paali ene putaa), un court-circuit (peete pettooje) qui emportent, avec eux, toute l’amertume que cause le fait d’être profondément patriote malgré l’appartenance à un « Leydi mahiinde e fenannde e tooñannge ».Je m’excuse auprès de tous ceux, d’entre vous, qui ne comprennent pas le Francfulde parce que je ne maîtrise pas la traduction de cette langue qui doit être, prochainement, reconnue par l’Institut des Langues Nationales.

L'auteur Hamadi DIOP

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