Depuis la fin du mois de novembre 2013, d’immenses troupeaux traversent
lentement le nord du Sénégal pour se réfugier dans le centre puis dans
le sud du pays, accompagnés d’un pas lent par des bergers qui rusent
avec les contours du paysage et les résistances de la végétation pour
leur trouver un semblant de nourriture. Ces animaux fuient les pâturages
sahéliens et les confins mauritaniens prématurément brûlés en raison du
manque de précipitations. Conséquence de plus en plus visible des
modifications climatiques touchant les zones sylvo-pastorales du Ferlo,
autour de Dara et de Linguère.
Des dizaines de milliers de
kilomètres carrés de savane arbustive dominée par des épineux, les
acacias, disparaissent en effet peu à peu, faute d’eau. Or l’élevage et
la transhumance annuelle assurent l’essentiel de l’équilibre économique
de la région, notamment grâce aux grands marchés de bétail qui s’y
tiennent en fin d’année.
Cette portion du Sahel est parcourue
chaque année par plus d’un million de bovins, d’ovins et de caprins. Ces
derniers sont de plus en plus nombreux, menace supplémentaire pour une
végétation déjà dévastée par la sécheresse. Laquelle est sensible
presque partout, les bergers et les animaux se pressant pour traverser
d’immenses espaces d’herbes sèches où les dernières mares sont désormais
asséchées. Ils ont toujours migré mais sont chaque année contraints de
le faire un peu plus tôt. Beaucoup des bovins qui progressent doucement
vers le Sud, tout en cherchant les rares pousses végétales, laissent
souvent entrevoir des côtes et un poitrail saillants témoignant de leur
état précaire. Et ils fournissent peu de viande et de lait, moins de
deux ou trois litres par jour.
Nouvelles tensions entre éleveurs
Alertée
par des spécialistes sénégalais qui s’inquiètent de l’avenir de ce
bétail face aux aléas climatiques, une association française, Agronomes
et vétérinaires sans frontières (AVSF), tente depuis quelques années
d’imaginer avec eux et les éleveurs des solutions alternatives. Pour au
moins corriger les effets des aléas climatiques sur les animaux et les
hommes. Pour faciliter les échanges entre les éleveurs et ses
représentants sénégalais qui s’activent depuis longtemps dans la région,
AVSF avait invité quatre paysans français, membres ou proches de la
Confédération paysanne, à dialoguer avec leurs homologues africains.
Des
heures durant, de villages de huttes traditionnelles en assemblées de
paysans, Blandine, Jean-François, Denis et Olivier, chargé du dossier
agriculture au nom des Verts au conseil régional Rhône-Alpes, ont
patiemment écouté, en cherchant des solutions. Notamment celles qui
passent par l’émancipation et la prise de pouvoir des femmes et par la
résolution des conflits croissants entre éleveurs et agriculteurs,
allant jusqu’à provoquer des morts.
Car, autre aspect des
difficultés croissantes et des tensions entre communautés, les grandes
cultures, notamment d’arachides, montent lentement vers le Nord,
réduisant les espaces de pacage. Au rythme des attributions de terre à
de grandes sociétés ou à des pays étrangers par des marabouts ou des
fonctionnaires, dans des régions où, théoriquement, toutes les terres
appartiennent à l’État.
Alors, les éleveurs sénégalais
l’expliquent, commence à croître la concurrence, voire l’antagonisme,
entre eux et les agriculteurs, ces derniers supportant mal que les
troupeaux arrivent prématurément sur leurs terres, alors que les
récoltes ne sont pas encore terminées. Les experts de ces situations
connaissent les conséquences de cette « concurrence » dans les
affrontements au Darfour, région dont les terres disponibles se
réduisent depuis des années sous les effets du manque d’eau et de
l’avancée du désert. Difficile de ne pas y songer lorsque l’on constate
la dégradation des écosystèmes pesant sur la vie quotidienne de tous.
La bataille pour l’information
Ça
et là, des coopératives de femmes se constituent, des communautés de
villages tentent de définir les espaces que les troupeaux de passage
peuvent provisoirement occuper. Et des éleveurs organisent, avec AVSF,
de petits centres de production et de vente locale de lait, pour contrer
les briques de Lactel inondant le marché.
Certaines s’efforcent
de mettre en route des productions fromagères dans un pays qui n’en
consomme traditionnellement pas. Avec son personnel local et le soutien,
depuis des années, de la Région Rhône-Alpes, l’ONG s’efforce de
susciter ou d’aider ces démarches et ces valorisations. Y compris en
finançant une base de données qui permettrait un jour de diffuser les
informations climatiques dont les éleveurs ont besoin pour élaborer les
parcours permettant aux troupeaux de progresser vers le Sud en trouvant à
la fois de l’eau et une végétation suffisamment nourrissante.
Mais,
malgré les progrès du réseau de portables dominé par Orange, dont les
gigantesques antennes fonctionnent avec des panneaux photovoltaïques, le
problème de l’information directe et instantanée des éleveurs ne semble
pas encore résolu en dehors des rencontres sur les marchés aux bestiaux
traditionnels.
Les efforts d’AVSF et des éleveurs français venus
réfléchir avec leurs homologues sénégalais se heurtent souvent à la
réalité de l’évolution climatique et au manque de financements pérennes.
La course contre le réchauffement climatique
Dans
quelques communautés, de petites installations de biogaz fonctionnant à
partir d’une cuve de fermentation, fruits de cette coopération
franco-sénégalaise, permettent la méthanisation des bouses de vache. Des
familles peuvent ainsi produire un gaz qui remplace avantageusement
l’usage du bois : régularité du chauffage et suppression des maladies
respiratoires pour les femmes penchées des heures sur la fumée du bois
pour la préparation des repas. L’excédent de gaz peut être stocké dans
un ballon souple et servir à alimenter quelques lampes. Problème : avec
le panneau photovoltaïque qui fournit le courant pour pulser le gaz, le
coût de l’installation dépasse un millier d’euros.
Les échanges
entre les quatre éleveurs français et les paysans sénégalais butent sur
l’immensité de la tâche. Les nouvelles idées, les initiatives
progressent bien plus lentement que le réchauffement. Même lorsqu’il
s’agit, dernière initiative, d’aider les éleveurs à développer des
petits jardins vivriers pour améliorer l’ordinaire. En filigrane surgit
une interrogation : pour aider une population à résister au changement
climatique dont elle n’est pas responsable, faut-il la persuader ou
l’aider à changer un mode de vie millénaire ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire