mercredi 27 novembre 2013

Grand Dossier: Cheikh Moussa Camara de Ganguél Soulé ,le marabout ,l'anthropologue,l'historien oublié par l'histoire



Haut lieu culturel de l’Islam en l’Afrique, Ganguel Soulé aurait pu rester de nulle part si l'enfant du pays, le Cheikh Moussa Kamara, n’avait été l’un des grands marabouts érudits de son temps.
Toutefois ce village emblématique de l’Afrique profonde se tient malgré lui à distance des routes de transhumance touristique et sa population loin des zones de développement.

Ganguel Soulé ne figure sur aucun guide touristique.
Situé en marge des grands axes de transhumance, il pourrait pourtant offrir aux amateurs d’espaces vierges de toute pénétration des technologies du XXIème siècle l’occasion de se plonger au coeur d’une Afrique profonde et restée vraie,afin de bénéficier d’un dépaysement total dans la mesure où ce village d’environ 5000 âmes ne dispose ni de l’électricité, ni du téléphone. L’eau (non potable) n’est accessible qu’aux puits et, autre handicap majeur, il n’existait jusqu’alors aucune des infrastructures d’accueil indispensables au développement de l’activité touristique si ce n’est celle de résider chez l’habitant, certes très accueillant,mais qui n’aurait à proposer qu’un confort très aléatoire et réputé primaire (1).Bref ce village et les villages environnants restent depuis la nuit des temps en marge de la civilisation et de l’économie de marché, car pour rejoindre Ganguel Soulé depuis la RN 2 il faut emprunter une piste de brousse, récemment "aménagée", et parcourir la dizaine de kilomètres qui sépare le village de Hamady Ounaré, avec comme autre difficulté le franchissement d’un gué impraticable durant la saison des pluies si ce n’est en pirogue ! Ceci expliquant en partie que Ganguel Soulé et la totalité des villages environnants comptent un nombre important de migrants, essentiellement vers la France. selon Kalidou Kane,auteur d’une étude sur cet encyclopédiste hors pair du XXème siècle que fut le Cheikh Moussa Kamara. Voilà pour la face Lumière de ce coin de l’Afrique profonde.Côté Ombre, les deux jours de cérémonies terminées, Ganguel Soulé, depuis des lustres, se retrouve confronté à un sous-développement économique endémique, isolé aux confins de la Mauritanie et du Mali, et "oublié" du pouvoir central et régional.Ganguel Soulé mériterait pourtant le détour pour celui souhaitant découvrir l’âme d’un peuple et s’imprégner du vrai visage de l’Afrique au travers de ses ombres et de ses lumières.
Terre d’Islam
La communauté scientifique et religieuse tant nationale qu’internationale reconnaît aujourd’hui devoir énormément à ce grand marabout, le Cheikh Moussa Kamara,producteur génial et fécond,auteur d’une impressionnante,riche et diversifiée collection d’ oeuvres constituée d’une cinquantaine d’ouvrages dans des domaines différents (astrologie, anthologie, ethnologie, jurisprudence, soufisme, médecine, histoire,géographie,économie,mysticisme et théologie,anthropologie, littérature et poétique, politique et démocratie, morale et éthiques sociales etc) dont une bonne part a été généreusement offerte de son vivant à l’Institut Fondamental d’Afrique Noire (I.F.A.N).Il fut d’ailleurs l’un des premiers écrivains africains a être accueilli dans cette assemblée. C’était le 1er avril 1913.
Cet enfant prodige du Fouta, né en 1864 à Gouriki Samba Diom, dans le Damga, est décédé à quelques encablures de là, à Ganguel Soulé en 1945 où il s’était installé pour mener sa carrière d’écrivain.
L’illustre Cheikh Saad Bouh fit de lui un Cheikh vers 1886 après qu’il eut mené une trentaine d’études auprès des plus grands maîtres de l’époque au Fouta (Sénégal),en Mauritanie,et fait des voyages d’études au Fouta Djallon, en Guinée, au Mali. "Durant sa longue et riche vie (décédé à 81 ans), il a cultivé au plus haut niveau le culte de l’amitié, sans préjugés de race, de condition sociale. Son œcuménisme et sa tolérance religieuse légendaires sont consacrés dans son œuvre polémique magistrale, avec comme titre gratuit en français La Vérité éclatante.
Il y a combattu l’extrémisme religieux de certains marabouts tidjianes de son temps qui persécutaient leurs coreligionnaires khadres. C’est avec une profonde conviction qu’il représentera sur demande de son ami, Seydou Nourou Tall, la communauté sénégalaise à l’inauguration de la cathédrale de Dakar, en 1935 souligne Kalidou Kane. Celui- ci rapporte une citation d’un arabologue émérite de la période coloniale, Paul Marty, reprise par feu Amar Samb de l’ I.F.A.N ,dans sa thèse de doctorat d’ État Essai sur la contribution du Sénégal à la littérature d’expression arabe. Si on comparait ce Cheikh avec dix savants du Sénégal,il l’emporterait sur eux".

Selon cet éminent chercheur sénégalais, dépositaire des oeuvres du saint homme en 1944, . Les démarches participatives empruntées à l’heuristique étaient privilégiées par rapport à la mémorisation passive des connaissances
Ses grands disciples étaient rompus bizarrement aux méthodologies de recherche conformes aux canons de la recherche scientifique contemporaine .Parmi ceux-ci,sont cités Seydou Alpha Bâ,père de El Hadji Mamadou Seydou Bâ,premier khalife de Madina Gounass.
Moussa Kamara leur a inculqué le goût de la documentation qui n’avait pas de prix à ses yeux et les associait à ses recherches dans toutes les phases de conception et de réalisation de ses oeuvres dont l’une des plus notables est le Zuhür al-basatin fi Tarikh al Sawädin ou Florilège au Jardin de l’histoire des Noirs, collection monumentale d ’oeuvres à caractère historique ethno-antropologique des Noirs de la vallée du fleuve Sénégal depuis l’origine jusqu’aux années 1920, date du début de cette étude. Le volume 1,sous la direction de Jean Schmitz (CNRS-EHESS) L'Aristocratie peul et la révolution des clercs musulmans a été publié aux Éditions CNRS à Paris.Trois tomes restent à traduire.Autre ouvrage de L'Enfant prodige de Ganguel, Les Vertus médicinales des plantes existantes dans l’environnement du Fouta et du Sénégal (ouvrage de pharmacologie).
D’autres ouvrages ont été traduits en français : La vie d 'El Hadji Omar , la condamnation de la guerre sainte etc. Ces oeuvres ont fait également l’objet de thèses d’Etat et de publications lors de colloques nationaux et internationaux par d'éminents chercheurs et professeurs d’université du Sénégal (Amar Samb,Abdoulaye Bara Diop,Abdoul Malal Diop, Moustapha Ndiaye….), de France (Jean Schmitz, Charles Beker, Constant Hamès, Pierre Bonte, Saïdi Bousbina…) des États-Unis, notamment l’université de Michigan avec David Robinson pour ne citer que ceux-là.
Le mausolée du Cheikh Moussa Kamara, inaugurée en mai 1999,a été classé en 2003 monument historique. Une bibliothèque construite à cette occasion permet de rassembler les oeuvres, les écrits et les recherches sur son œuvre.
Porte-parole
Shaykh Muusa Kamara (autre orthographe de son nom) fut le porte parole de tous les marabouts de l’ A.O.F (Afrique Occidentale Française) lors de l’inauguration de la cathédrale du Souvenir africain à Dakar en 1935. "Il défendit alors l’idée d’une unité des trois religions du Livre, thème qui allait connaître un grand succès, alors même que sa vie,tout entière investie dans une œuvre littéraire tout à fait remarquable bien que largement méconnue occupe une place singulière dans l’histoire de cette période" souligne Jean Schmitz (CNRS-EHESS) dans son historiographie des Peuls musulmans d’Afrique de l’Ouest. "Durant les années 1920 il rédigea en arabe une monumentale Histoire des Noirs Musulmans,Le Zuhur al-basatin, où sont rassemblées de nombreuses traditions transcrites en arabe ou des chroniques des différents Etats peuls fondés après une guerre sainte, de Sokoto à l’est jusqu’au Fuuta Tooro à l’ouest. Les trois quarts des 1700 pages de son manuscrit qui sont consacrées à ce dernier Etat, situé dans la Moyenne vallée du Sénégal, ont été traduits et annotés en français par une équipe franco-sénégalaise associant des arabisants et des pulaarisants, des anthropologues et des historiens appartenant à divers organismes (I.F.A.N-C.A.D,ENS, ORSTOM,CNRS)".
"L’intérêt d’une telle entreprise ne réside pas seulement dans la qualité des sources ou dans l’esprit critique dont fait montre l’ auteur deux éléments qui ont séduit plus d’un historien-mais dans la nature d’un projet à trois composantes. En effet Kamara opère une traduction culturelle des institutions et de l’histoire d’une société qui se définit par le partage d’un même dialecte peul,"le pulaar",en utilisant la langue arabe et donc les catégories de pensées arabo-musulmanes et cela à destination des administrateurs- ethnologues de son temps. D’où l’importance de la traduction en français que l’auteur attendra vainement jusqu’à sa mort" rappelle Jean Schmitz.
L’originalité de Kamara réside dans le fait de mettre au centre de son analyse de la conquête du pouvoir au Fuuta Tooro par les marabouts Toorobbe à la fin du XVIIIe, les liens de solidarité qui procédaient de ce que la terminologie coloniale appelait improprement "l’école coranique", à savoir les rapports maîtres/disciples qui s’instaurent lors de la transmission du savoir et qui incluent les pérégrinations propédeutiques en vue d’apprendre tel ou tel livre de grammaire ou de théologie auprès des lettrés dispersés, le compagnonnage spirituel durant la quête des savoirs secrets, enfin la fondation d‘un nouveau foyer d’enseignement. A l’inverse c’est la guerre civile provoquée par le retournement de ces relations d’amitié à partir du moment où le nouveau pouvoir est instauré qui explique le déclin très rapide, dès le début du XIXème siècle de l’ almamiat des Toorobbe,car au Fuuta Tooro,à la différence de la situation qui prévalait aussi bien en Mauritanie qu’au Fuuta Jaloo, les lettrés musulmans pouvaient accéder à la tête de l’État.
"Il y a une grande cohérence entre ce projet et la méthode Kamara, puisque ce dernier utilisera toutes les virtualités de ces rapports de transmission de la culture arabo-musulmane comme une sorte d’institution de recherche. Enfin, dans sa propre biographie, il ira jusqu’au bout de la déconnexion de l’islam et du politique ce à quoi aboutit sa démarche intellectuelle, puisqu’il refusa de participer au jihâd, de fonder une confrérie musulmane mais également d’être intégré à cette sorte de clergé musulman que les Français s’efforcèrent de susciter depuis Faidherbe (2)néanmoins,malgré son absence d’héritier, l’étonnante expansion pacifique de l’islam sous la colonisation montre qu’il était en phase avec son époque et qu’il est grand temps d’estimer à sa juste valeur l’œuvre de celui qui s’estimait être un "proche de Dieu",un saint qui voulut intégrer le monde soudanais dans l’ensemble de la culture islamique" confirme Jean Schmitz. M.C.



REGISTRE DE LA MÉMOIRE DU MONDE
Fonds Cheikh Moussa Kamara
(Sénégal)
Ref N° 2010-38
PARTIE A – INFORMATIONS ESSENTIELLES
1.         RÉSUMÉ

Le Fonds Cheikh Moussa Kamara (ou Shaykh Muusa Kamara) est composé de plusieurs manuscrits arabes. Rédigée durant la période coloniale, l’œuvre de Kamara, porte surtout sur l’histoire, l’anthropologie, la théologie et le droit. Il fut non seulement considéré comme un grand historien de son époque et un savant réputé mais il jouissait également d’une grande estime auprès de l’administration coloniale et de ses compatriotes. Il reçut la légion d’honneur en 1930. Choisi comme porte-parole de tous les marabouts de l’AOF (Afrique occidentale Française) lors de l’inauguration de la cathédrale du Souvenir africain dans la capitale fédérale, Dakar,  en 1935, Cheikh Moussa Kamara  prône l’unité des religions du Livre. Il fut encouragé dans sa démarche d’historien et d’anthropologue par Maurice Delafosse, Henri Gaden et d’autres africanistes.
Son œuvre littéraire monumentale, intitulée Zuhùr al-Basàtìn fì tàrìkh al-sawàdìn (Fleurs des jardins sur l’histoire des Noirs), fut écrite entre 1920 et 1925. Cheikh Moussa Kamara  est aussi l’auteur de quelques traités axés sur des thématiques bien déterminées, comme par exemple l’ouvrage consacré à al-hajj Umar et Al-Majmu‘ al-Nafìs (Recueil précieux sur l’Histoire de quelques chefs maures et peuls), le Tanqiyat al-Afhàm (Purification des idées sur les incertitudes des préjugés). Il compte parmi ses œuvres deux autres manuscrits, traduits et publiés respectivement en 1973 et 1976 par Amar Samb sous les titres « L’Islam et le christianisme » et « Condamnation de la guerre sainte ». Ces pièces et documents illustrent tous les aspects de la vie des princes, des paysans comme des résistants au joug colonial.
A sa mort en 1945, ses œuvres furent léguées à l’ I.F.A.N pour permettre leur accès aux scientifiques. Ce fonds, logé au laboratoire d’islamologie, constitue une documentation inestimable pour l’étude de l’histoire sociale et culturelle de Sénégal et de l’Afrique de l’Ouest. Certains de ces manuscrits fournissent des données très diverses et sont d’un grand intérêt pour l’étude de l’Islam, de la littérature et de la rhétorique arabes ainsi que de l’histoire des idées.
De manière générale, on peut reconnaître que les œuvres de Cheikh Moussa Kamara  sont d’une valeur inestimable et qu’à ce titre, elles transcendent les frontières temporelles et culturelles, et devraient par conséquent être préservées pour les générations actuelles et futures.


2.         INFORMATIONS SUR L'AUTEUR DE LA PROPOSITION
2.1       Nom (personne physique ou morale)

Le Laboratoire d’Islamologie de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire Cheikh Anta Diop (I.F.A.N-C.A.D)
2.2       Relation avec l'élément considéré du patrimoine documentaire

Le Laboratoire d’Islamologie de l’ I.F.A.N Cheikh Anta Diop conserve l’ensemble des manuscrits. 
2.3       Personne(s) à contacter


Pr Khadim Mbacké, Chercheur et chef du Laboratoire d’Islamologie de l’ I.F.A.N Ch.A.Diop.
Dr Thierno Ka, Chercheur au Laboratoire d’Islamologie de l’ I.F.A.N Ch.A.Diop
Pr Papa Ndiaye, Directeur de l’ I.F.A.N-C.A.D
Souleymane Gaye, Conservateur et Responsable de la gestion des manuscrits du Laboratoire d'Islamologie  I.F.A.N Ch. A. DIOP
Dr Ndèye Sokhna Guèye, Présidente du Comité national du Programme « Mémoire du monde »

 2.4      Coordonnées complètes de la personne à contacter (adresse, téléphone, fax, adresse électronique)
I.F.A.N-C.A.D, Université Cheikh Anta Diop, BP 206, Dakar, Sénégal, Tel : (221) 33 825 98 90

3.         IDENTITÉ ET DESCRIPTION DE L'ÉLÉMENT
DU PATRIMOINE DOCUMENTAIRE
3.1       Nom et identification de l'élément

Du nom de son auteur, le fonds Cheikh Moussa Kamara est l’un des huit fonds du laboratoire d’Islamologie de l’ I.F.A.N Ch.A.Diop.  Le fonds est une production littéraire variée. Constitué entre 1920 et 1943, le fonds Cheikh Moussa Kamara est essentiellement composé de plusieurs manuscrits arabes sur support papier. C’est le fruit du travail intellectuel d’un grand érudit considéré comme le plus grand historien et anthropologue de langue arabe que le Sénégal ait connu. Composé de manuscrits arabes, ce fonds porte essentiellement sur l’histoire. L’auteur traite également des sujets relatifs à la religion musulmane, à la magie et à la médecine traditionnelle. La plus connue de ses œuvres, Zuhùr al-Basàtìn, retrace surtout l’histoire du Fuuta Tooro, de la Mauritanie et du Fuuta Jallon. Ses écrits ont servi de base à beaucoup de travaux de recherche comme ceux de Vincent Monteil, d’ Amar Samb, de Thierno Kâ, de Khadim Mbacké, de Omar Kane, de David Robinson, de Jean Schmitz et de bien d’autres islamologues, historiens et littéraires. Parmi les travaux effectués sur le fond  figurent aussi le rétablissement et la publication de deux manuscrits (la vie d' El-hadj Omar et sa guerre) par Ahmad Chokri et Khadim Mbacké, publiés grâce à la coopération entre l' .F.A.N et l'Institut des Études africains de l'Université Muhammad V de Rabat. Un troisième manuscrit traitant de l'histoire des deeniyaŋkoobe a été rétabli  par les mêmes chercheurs et proposé au même Institut. Le deuxième plus important manuscrit al-haqq al-mubin a été traduit en partie par Moustapha Ndiaye et publié dans le bulletin B de l' I.F.A.N. Le même manuscrit a fait l'objet d'une thèse de doctorat du 3e  cycle…Par ailleurs, une équipe de chercheurs, dont Khadim Mbacké, a traduit en français le Zuhùr pour le compte du CNRS, une partie de ce travail a été  publiée en 1997.

3.2       Description

Constitué entre 1930 et 1943, le fonds Cheikh Moussa Kamara est essentiellement composé de manuscrits arabes sur support papier. L’une des pièces maîtresses de son œuvre est un ouvrage rédigé en arabe durant les années 1920 et destiné aux administrateurs-ethnologues de son temps, notamment Henri Gaden et Maurice Delafosse. Il s’agit de sa monumentale Histoire des Noirs musulmans, le Zuhùr al-Basàtìn, où sont recueillies de nombreuses traditions transcrites en arabe ou de chroniques des différents États peuls fondés après une guerre sainte, de Sokoto, à l’est, jusqu’au Fuuta Tooro, à l’ouest.
L’auteur traite des chroniques peules, traditions historiographiques qu’on retrouve également au Fuuta Jallon, et des tarikh arabes. S’inspirant d’ Ibn Khaldun, Kamara propose une histoire cyclique des dynasties peules, caractérisées par une croissance et un déclin. L’originalité de ses œuvres se situe à plusieurs niveaux. Le premier niveau est caractérisé par son analyse de la conquête du pouvoir au Fuuta Tooro par les marabouts Tooroßße à la fin du XVIIIe. Le second niveau prend en charge les rapports maîtres/disciples lors de la transmission du savoir islamique et qui incluent les pérégrinations en vue d’étudier tel ou tel livre de grammaire ou de théologie auprès de lettrés musulmans, la quête des savoirs secrets ainsi que la création de foyers d’enseignement. Le troisième niveau concerne son opposition au jihad, aux guerres civiles qui minaient le Fuuta Tooro durant cette période d’opposition à l’ordre colonial.

4.         JUSTIFICATION DE LA PROPOSITION D'INSCRIPTION SUR LE REGISTRE/ ÉVALUATION PAR RAPPORT AUX CRITÈRES DE SÉLECTION
4.1       L'authenticité est-elle établie ? (voir 4.2.3)

Légué à l’ I.F.A.N par Mamadou Djiby Kane, petit-fils du Cheikh, le fonds est constitué de documents manuscrits authentiques, datant de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, et qui sont maintenus dans leur état originel. Il ne fait pour nous aucun doute que les manuscrits de Kamara représentent une source documentaire unique qui mérite d'être préservée en tant qu'élément du patrimoine culturel mondial.

4.2       L'intérêt universel et le caractère unique et irremplaçable sont-ils établis ? (voir 4.2.4)

Le fonds est unique en son genre et n’existe nulle part ailleurs. Il est conservé dans son intégralité au laboratoire d’islamologie. C’est une source historique unique d’une époque particulière de l’histoire de l’humanité, une époque où l’Islam et la culture islamique commençaient à s’imposer comme un des plus importants systèmes de croyance dans le monde. Le fonds constitue, par ailleurs, un patrimoine documentaire d’une richesse  inestimable en termes d’informations sur plusieurs domaines d’activités. Ces manuscrits retracent ainsi et traitent de différents sujets : l’histoire,  l’anthropologie, les ressources, la médecine locale, etc.  Les manuscrits comprennent des milliers de pages, rien que la pièce maîtresse de ses œuvres, le Zuhùr al-Basàtìn, comporte environ 1700 pages. Étant donné l’étendue des biens de la dotation et leur grande valeur ainsi que le prestige du Cheikh, la collection présente un intérêt régional et une importance universelle. De plus, les informations fournies constituent l’histoire d’une époque caractérisée par un dynamisme considérable et de grands changements.
Bon nombre de chercheurs se sont appuyés sur les écrits de Cheikh Moussa Kamara pour mieux connaître l’histoire du Fuuta Tooro et de la sous-région ouest-africaine. Maurice Delafosse lui-même, à son époque, avait demandé la traduction du Zuhùr al-Basàtìn en français. Cette collection de manuscrits, source inépuisable d’informations, continue aujourd’hui d’être largement utilisée par les chercheurs sénégalais et étrangers.

4.3       Un ou plusieurs des critères (a) de l'époque, (b) du lieu, (c) des personnes, (d) du sujet et du thème, (e) de la forme et du style (f) signification sociale/spirituelle/communautaire sont-ils satisfaits ?

(a) de l'époque,

L’ensemble de l’œuvre de Cheikh Moussa Kamara  a été rédigé au moment où le Sénégal était sous la domination coloniale. Cette période de conquête coloniale a eu un impact certain sur le vécu de l’auteur. En effet, la présence européenne, surtout française dès le début du XVIe siècle, va bouleverser l'ensemble de la vallée du fleuve. Sur le plan économique, le développement de la traite atlantique avec une chasse à l'homme entraîna une permanente violence dans les rapports entre les États. La recrudescence de la traite des esclaves jusqu'au XVIIIe siècle plonge le Fuuta Tooro dans l'insécurité et la guerre civile (révolution Tooroodo). En opposition à ce commerce favorisé par la dynastie deeniyaŋke, une révolution musulmane dirigée par les Tooroßße (c'est-à-dire ceux qui prient) éclate à la deuxième moitié du XVIIIe siècle (O. Kane, 1986 ; B. Barry, 1988 : 155). Ces Tooroßße destituant en 1776 le Satigui deeniyaŋke (titre, d'origine soninke, pris par les dirigeants peul deeniyaŋke) instaurent le régime de l'almamiyat (qui vient de l'arabe Al imam, celui qui dirige la prière). Ils créent une théocratie musulmane et sont désormais à la tête de la hiérarchie sociale. Le régime a duré jusqu'à l'annexion du Fuuta Tooro par la France en 1881.
Avec l’abolition de l’esclavage dès 1848, l'impérialisme français va donc se traduire dans la vallée du fleuve Sénégal par les tentatives avortées de colonisation agricole de 1813 à 1831, expérience qui échoua avec l'opposition des chefs du Fuuta Tooro et des Maures. Ces derniers, défavorisés par cette colonisation agricole, ont créé une situation d'insécurité et entraîné une brève reprise de la traite des esclaves et du commerce atlantique.
Cette ingérence ne s'est pas effectuée sans heurts car elle a fait l'objet de quelques résistances d'islamistes qui furent matées par des expéditions punitives de la colonie du Sénégal. Ces guerres sont accompagnées de calamités naturelles comme la sécheresse avec ses cortèges de famine et de disettes. Aux exactions des tenants du pouvoir qui exigent vivres et bétail aux populations, s'ajoutent celles de la colonie française du Sénégal, établie à Saint-Louis. Elle dépossédait les populations de leurs récoltes, de leurs troupeaux, incendiant les villages, déjà ravagés par les épidémies.
C'est dans ce climat de guerres et d'insécurité quasi permanent qu’a vécu Cheikh Moussa Kamara qui s’opposait à cette violence. Son opposition au Jihad et aux guerres, il la traduit dans un de ses écrits, en ces termes : « La plupart de ceux qui ont fait la guerre sainte après notre prophète ne font que de l’ostentation et ne s’occupent pas des gens qui meurent dans la guerre sainte » (I.F.A.N, cahier 15 édité et traduit par Amar Samb, 1976).

(b) du lieu

Cheikh Moussa Kamara résidait à Ganguel dans le Fuuta Tooro, au nord du Sénégal. Cependant l’auteur s’est beaucoup déplacé, notamment dans le Haut Sénégal/Niger, en Mauritanie et au Fuuta Jallon à la quête du savoir. Ses récits retracent les lieux et itinéraires de ses différentes pérégrinations à l’intérieur de l’Afrique de l’ouest.

(c) des personnes

L’œuvre principale, le Zuhùr al-Basàtìn, est émaillée d’histoires de personnages charismatiques. Ces écrits sont évidemment d’une importance primordiale pour notre connaissance de la vie et de l’œuvre des dynasties peules, des paysans, des marabouts ou des résistants à la colonisation française. L’auteur a tissé des liens avec les administrateurs coloniaux comme Henri Gaden, de Lamotte, Ballay, avec les africanistes de renom tels Robert Arnaud, Maurice Delafosse, Paul Marty, Mariani. Faisaient aussi partie de ses amis les députés du Sénégal, Blaise Diagne, Ngalandou Diouf, quelques Almamy de la Guinée, le Cheikh Sadd Bouh et beaucoup de ses compatriotes, juristes, philologues, grammairiens ou écrivains de talent.

(d) du sujet et du thème

Entreprise originale, les écrits de Kamara fournissent des informations de première main dans les domaines de l’histoire, du droit musulman, de l’anthropologie, de la théologie, de la médecine traditionnelle et de la magie. Outre des informations sur les dynasties peules du Fuuta et tout ce qui s’y rapporte, les manuscrits renferment des indications sur la gestion des terres, sur la paysannerie ainsi que sur des sujets aussi variés que l’astronomie ou la zoologie. L’auteur propose un regard local et africain sur l’histoire de son pays et de la sous-région.

(e) de la forme et du style

L’ensemble des œuvres est manuscrit. Le style est comparable à celui des Tarikh soudanais (XVI-XVIIe siècles), du Tarikh as-Sudan d’ Abderrahman as-Sa`di et du Tarikh al-fettash de Mahmud Kati. Autrement ces auteurs s’intéressaient aux histoires dynastiques et régionales, aux biographies, aux généalogies et offraient en même temps des renseignements d’ordre économique, religieux, social ou géographique. Le style de Kamara rappelle aussi la manière d’écrire l’histoire d’ Ibn Khaldun qui focalise son analyse en présentant une succession de dynasties locales, à l’intérieur desquelles il propose des informations sur tels événements religieux, militaire, économique, voire zoologique ou astrologique.

(f) signification sociale/spirituelle/communautaire sont-ils satisfaits ?

Ces manuscrits sont une source unique de l’histoire du Fuuta Tooro et de l’Afrique de l’Ouest. De nombreux documents fournissent des informations essentielles sur l’organisation sociale, la situation des gens du commun, la situation foncière, la culture islamique, le christianisme, etc. Cette source documentaire a permis à beaucoup de chercheurs d’écrire sur des événements, des sentiments, des attitudes et des façons de vivre des personnes qui ont été oubliées de l'histoire, et d’avoir une relecture plus précise des pans essentiels du passé ouest-africain.

4.4       Des problèmes de rareté, d'intégrité, de menace et de gestion sont-ils associés à l'élément considéré ?

Les manuscrits de Cheikh Moussa Kamara, conservés au Laboratoire d’Islamologie de l’I.F.A.N Ch.    A. Diop, sont uniques et constituent une mine d’informations pour les historiens, théologiens et universitaires littéraires et ethnolinguistiques. Nulle part ailleurs on ne trouve une production de savoirs aussi complets sur le Fuuta Tooro en particulier et sur l’Afrique de l’ouest en général. Cependant cet héritage culturel commence à se détériorer et certaines écritures commencent à devenir illisibles; les manuscrits étant de plus maniés sans soin.  
 

5.         INFORMATION JURIDIQUE

5.1       Propriétaire de l'élément du patrimoine documentaire (nom et coordonnées complètes)

L’IFAN est chargé de la conservation au profit de la recherche.

5.2       Dépositaire de l'élément du patrimoine documentaire (nom et coordonnées complètes, si le dépositaire n'est pas le propriétaire)

L’Institut Fondamental d’Afrique Noire Cheikh Anta Diop

5.3       Statut juridique :
            (a) Régime de propriété
Depuis le legs du fond Cheikh Moussa Kamara  à l’ I.FA.N, l’intégralité des manuscrits est propriété publique de cette institution.

            (b) Accessibilité
Le fond documentaire est accessible au public dans la salle de lecture du laboratoire d’Islamologie pour consultation, pour des recherches ou à des fins officielles dans le respect des règles d’accès aux collections spéciales.

            (c) Droit d'auteur
L’intégralité du fond documentaire et le droit d’auteur appartiennent à l’ I.F.A.N Cheikh Anta Diop.
            (d) Administration responsable
Le laboratoire d’Islamologie est responsable du fond documentaire.
            (e) Autres éléments
6.         PLAN DE GESTION
6.1       Existe-t-il un plan de gestion de l'élément du patrimoine documentaire ? NON
Le fonds Cheikh Moussa Kamara dispose d’un cadre de classement. Il est répertorié dans un catalogue. L’état de conservation des manuscrits est moyen. Conservés dans des casiers métalliques, ces manuscrits sont dans un état d’extrême vulnérabilité et ont un besoin urgent d’être restaurés et préservés afin de pouvoir être manipulés sans risques de détérioration. D’une extrême fragilité, les feuillets commencent à jaunir et à être, touchés par la poussière et l’humidité. Sur l’ensemble des manuscrits, certains présentent des détériorations dues à la manipulation. La salle de conservation dispose, néanmoins, de l’air conditionné. Des initiatives sont envisagées pour rendre le fond plus accessible et le protéger des catastrophes et de la dégradation liée à la consultation (numérisation de la totalité des documents).

7.         CONSULTATION
7.1       Rendre compte de la consultation

(a) du propriétaire du patrimoine ;

L’ I.F.A.N Cheikh Anta Diop est le propriétaire du fond documentaire.

b) du dépositaire ;

Le dépositaire est représenté par le laboratoire d’Islamologie de l’.I.F.A.N Cheikh Anta Diop.

(c) de votre comité national ou régional de la Mémoire du monde au sujet de la proposition d'inscription :

Un Comité national du programme "Mémoire du monde" a été créé sous les auspices du Ministère de l’Enseignement élémentaire, secondaire et des langues nationales. Dans ce comité, sont représentés tous les grands centres du Sénégal dépositaires de documents présentant un intérêt historique ou ayant une importance nationale, régionale ou internationale. La sélection et la proposition d'inscription ont été effectuées par les membres du Comité national du programme "Mémoire du Monde".
PARTIE B – INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES
8          ÉVALUATION DES RISQUES
8.1       Préciser la nature et l'étendue des menaces auxquelles l'élément du patrimoine documentaire est exposé (voir 5.5)
Ce trésor national n’est pas protégé contre les dommages de l’humidité, de la poussière et des insectes. Les pièces portent des traces de détérioration et quelques écritures commencent à disparaître. La proximité de la mer suscite quelques inquiétudes dues à l’humidité. Le laboratoire bénéficie du système de surveillance assurant la sécurité jour et nuit avec la garde de l’ensemble du bâtiment de l’ I.F.A.N.

9          ÉVALUATION DE LA CONSERVATION
9.1       Donner des précisions sur les conditions de conservation de l'élément du patrimoine documentaire

L'état actuel de préservation du fond documentaire est loin d’être satisfaisant. En raison du manque de ressources financières, les manuscrits sont conservés dans des casiers métalliques dans une seule pièce, équipée d’une climatisation. Les conditions de température, d'humidité et de qualité de l'air ne sont pas optimales pour une meilleure préservation de ces éléments importants du patrimoine culturel et documentaire.  


Cheikh

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