Haut lieu culturel de l’Islam en l’Afrique, Ganguel Soulé aurait pu rester de nulle part si l'enfant du pays, le Cheikh Moussa Kamara, n’avait été l’un des grands marabouts érudits de son temps.
Toutefois ce village emblématique de l’Afrique
profonde se tient malgré lui à distance des routes de transhumance touristique
et sa population loin des zones de développement.
Ganguel Soulé ne figure sur aucun guide
touristique.
Situé en marge des grands axes de transhumance, il pourrait
pourtant offrir aux amateurs d’espaces vierges de toute pénétration des
technologies du XXIème siècle l’occasion de se plonger au coeur d’une Afrique
profonde et restée vraie,afin de bénéficier d’un dépaysement total dans la
mesure où ce village d’environ 5000 âmes ne dispose ni de l’électricité, ni du
téléphone. L’eau (non potable) n’est accessible qu’aux puits et, autre handicap
majeur, il n’existait jusqu’alors aucune des infrastructures d’accueil
indispensables au développement de l’activité touristique si ce n’est celle de
résider chez l’habitant, certes très accueillant,mais qui n’aurait à proposer
qu’un confort très aléatoire et réputé primaire (1).Bref ce village et les
villages environnants restent depuis la nuit des temps en marge de la
civilisation et de l’économie de marché, car pour rejoindre Ganguel Soulé
depuis la RN 2 il faut emprunter une piste de brousse, récemment
"aménagée", et parcourir la dizaine de kilomètres qui sépare le
village de Hamady Ounaré, avec comme autre difficulté le franchissement d’un
gué impraticable durant la saison des pluies si ce n’est en pirogue ! Ceci
expliquant en partie que Ganguel Soulé et la totalité des villages environnants
comptent un nombre important de migrants, essentiellement vers la France. selon Kalidou Kane,auteur d’une étude sur cet encyclopédiste hors pair
du XXème siècle que fut le Cheikh Moussa Kamara. Voilà pour la face Lumière de
ce coin de l’Afrique profonde.Côté Ombre, les deux jours de cérémonies
terminées, Ganguel Soulé, depuis des lustres, se retrouve confronté à un
sous-développement économique endémique, isolé aux confins de la Mauritanie et
du Mali, et "oublié" du pouvoir central et régional.Ganguel Soulé
mériterait pourtant le détour pour celui souhaitant découvrir l’âme d’un peuple
et s’imprégner du vrai visage de l’Afrique au travers de ses ombres et de ses
lumières.
Terre d’Islam
La
communauté scientifique et religieuse tant nationale qu’internationale
reconnaît aujourd’hui devoir énormément à ce grand marabout, le Cheikh Moussa
Kamara,producteur génial et fécond,auteur d’une impressionnante,riche et
diversifiée collection d’ oeuvres constituée d’une cinquantaine d’ouvrages dans
des domaines différents (astrologie, anthologie, ethnologie, jurisprudence,
soufisme, médecine, histoire,géographie,économie,mysticisme et
théologie,anthropologie, littérature et poétique, politique et démocratie,
morale et éthiques sociales etc) dont une bonne part a été généreusement
offerte de son vivant à l’Institut Fondamental d’Afrique Noire (I.F.A.N).Il fut
d’ailleurs l’un des premiers écrivains africains a être accueilli dans cette
assemblée. C’était le 1er avril 1913.
Cet enfant prodige du Fouta, né en 1864 à Gouriki
Samba Diom, dans le Damga, est décédé à quelques encablures
de là, à Ganguel Soulé en 1945 où il s’était installé pour mener sa carrière
d’écrivain.
L’illustre Cheikh Saad Bouh fit de lui un Cheikh vers
1886 après qu’il eut mené une trentaine d’études auprès des plus
grands maîtres de l’époque au Fouta (Sénégal),en Mauritanie,et fait des voyages
d’études au Fouta Djallon, en Guinée, au Mali. "Durant sa longue et riche
vie (décédé à 81 ans), il a cultivé au plus haut
niveau le culte de l’amitié, sans préjugés de race, de condition sociale. Son œcuménisme
et sa tolérance religieuse légendaires sont consacrés dans son œuvre polémique
magistrale, avec comme titre gratuit en français La
Vérité éclatante.
Il y a combattu l’extrémisme religieux de certains
marabouts tidjianes de son temps qui persécutaient leurs coreligionnaires
khadres. C’est avec une profonde conviction qu’il représentera sur
demande de son ami, Seydou Nourou Tall, la communauté sénégalaise à
l’inauguration de la cathédrale de Dakar, en 1935 souligne Kalidou Kane.
Celui- ci rapporte une citation d’un arabologue émérite de la période coloniale,
Paul Marty, reprise par feu Amar Samb de l’ I.F.A.N ,dans sa thèse de doctorat d’ État
Essai sur la contribution du Sénégal à la littérature
d’expression arabe. Si on comparait ce Cheikh avec
dix savants du Sénégal,il l’emporterait sur eux".
Selon cet éminent chercheur sénégalais, dépositaire des oeuvres du saint homme en 1944, . Les démarches participatives empruntées à l’heuristique étaient privilégiées par rapport à la mémorisation passive des connaissances
Ses grands disciples étaient rompus bizarrement aux méthodologies de recherche conformes aux canons de la recherche scientifique contemporaine .Parmi ceux-ci,sont cités Seydou Alpha Bâ,père de El Hadji Mamadou Seydou Bâ,premier khalife de Madina Gounass.
Moussa Kamara leur a inculqué le goût de la documentation qui n’avait
pas de prix à ses yeux et les associait à ses recherches dans toutes les phases
de conception et de réalisation de ses oeuvres dont l’une des plus notables est
le Zuhür al-basatin fi Tarikh al Sawädin ou
Florilège au Jardin de l’histoire des Noirs, collection
monumentale d ’oeuvres à caractère historique ethno-antropologique des Noirs de
la vallée du fleuve Sénégal depuis l’origine jusqu’aux années 1920, date du
début de cette étude. Le volume 1,sous la direction de Jean Schmitz
(CNRS-EHESS) L'Aristocratie peul et la révolution des clercs
musulmans a été publié aux Éditions CNRS à Paris.Trois tomes restent à
traduire.Autre ouvrage de L'Enfant prodige de
Ganguel, Les Vertus médicinales des plantes existantes dans
l’environnement du Fouta et du Sénégal (ouvrage
de pharmacologie).
D’autres ouvrages ont été traduits en français : La vie d 'El Hadji Omar , la condamnation de la guerre sainte etc.
Ces oeuvres ont fait également l’objet
de thèses d’Etat et de publications lors de colloques nationaux et
internationaux par d'éminents chercheurs et professeurs d’université
du Sénégal (Amar Samb,Abdoulaye Bara Diop,Abdoul Malal
Diop, Moustapha Ndiaye….), de France (Jean Schmitz, Charles
Beker, Constant Hamès, Pierre Bonte, Saïdi Bousbina…) des États-Unis, notamment l’université de Michigan avec David Robinson
pour ne citer que ceux-là.
Le mausolée du Cheikh Moussa Kamara, inaugurée en mai 1999,a été
classé en 2003 monument historique. Une bibliothèque construite à cette
occasion permet de rassembler les oeuvres, les écrits et les recherches sur son œuvre.
Porte-parole
Shaykh Muusa Kamara (autre orthographe de son nom) fut le
porte parole de tous les marabouts de l’ A.O.F (Afrique Occidentale Française) lors
de l’inauguration de la cathédrale du Souvenir africain à Dakar en 1935.
"Il défendit alors l’idée d’une unité des trois religions du Livre, thème
qui allait connaître un grand succès, alors même que sa vie,tout entière
investie dans une œuvre littéraire tout à fait remarquable bien que largement
méconnue occupe une place singulière dans l’histoire de cette période"
souligne Jean Schmitz (CNRS-EHESS) dans son historiographie des Peuls
musulmans d’Afrique de l’Ouest.
"Durant les années 1920 il rédigea en arabe une monumentale Histoire des
Noirs Musulmans,Le Zuhur al-basatin, où
sont rassemblées de nombreuses traditions transcrites en arabe ou des
chroniques des différents Etats peuls fondés après une guerre sainte, de Sokoto
à l’est jusqu’au Fuuta Tooro à l’ouest. Les trois quarts des 1700 pages de son
manuscrit qui sont consacrées à ce dernier Etat, situé dans la Moyenne vallée
du Sénégal, ont été traduits et annotés en français par une équipe
franco-sénégalaise associant des arabisants et des pulaarisants, des
anthropologues et des historiens appartenant à divers organismes (I.F.A.N-C.A.D,ENS,
ORSTOM,CNRS)".
"L’intérêt d’une telle entreprise ne réside pas seulement
dans la qualité des sources ou dans l’esprit critique dont fait montre
l’ auteur deux éléments qui ont séduit plus d’un historien-mais dans la nature d’un
projet à trois composantes. En effet Kamara opère une traduction culturelle des
institutions et de l’histoire d’une société qui se définit par le partage d’un
même dialecte peul,"le pulaar",en utilisant la langue arabe et donc
les catégories de pensées arabo-musulmanes et cela à destination des
administrateurs- ethnologues de son temps. D’où l’importance de la traduction
en français que l’auteur attendra vainement jusqu’à sa mort" rappelle Jean
Schmitz.
L’originalité de Kamara réside dans le fait de mettre au centre
de son analyse de la conquête du pouvoir au Fuuta Tooro par les marabouts Toorobbe
à la fin du XVIIIe, les liens de solidarité qui procédaient de ce que la
terminologie coloniale appelait improprement "l’école coranique", à
savoir les rapports maîtres/disciples qui s’instaurent lors de la transmission
du savoir et qui incluent les pérégrinations propédeutiques en vue d’apprendre
tel ou tel livre de grammaire ou de théologie auprès des lettrés dispersés, le
compagnonnage spirituel durant la quête des savoirs secrets, enfin la fondation
d‘un nouveau foyer d’enseignement. A l’inverse c’est la guerre civile provoquée
par le retournement de ces relations d’amitié à partir du moment où le nouveau
pouvoir est instauré qui explique le déclin très rapide, dès le début du XIXème
siècle de l’ almamiat des Toorobbe,car au Fuuta Tooro,à la différence de la
situation qui prévalait aussi bien en Mauritanie qu’au Fuuta Jaloo, les lettrés
musulmans pouvaient accéder à la tête de l’État.
"Il y a une grande cohérence entre ce projet et la méthode
Kamara, puisque ce dernier utilisera toutes les virtualités de ces rapports de
transmission de la culture arabo-musulmane comme une sorte d’institution de
recherche. Enfin, dans sa propre biographie, il ira jusqu’au bout de la
déconnexion de l’islam et du politique ce à quoi aboutit sa démarche
intellectuelle, puisqu’il refusa de participer au jihâd, de fonder une
confrérie musulmane mais également d’être intégré à cette sorte de clergé musulman
que les Français s’efforcèrent de susciter depuis Faidherbe
(2)néanmoins,malgré son absence d’héritier, l’étonnante expansion pacifique de
l’islam sous la colonisation montre qu’il était en phase avec son époque et
qu’il est grand temps d’estimer à sa juste valeur l’œuvre de celui qui
s’estimait être un "proche de Dieu",un saint qui voulut intégrer le
monde soudanais dans l’ensemble de la culture islamique" confirme Jean Schmitz.■ M.C.
REGISTRE DE LA MÉMOIRE DU MONDE
Fonds
Cheikh Moussa Kamara
(Sénégal)
Ref N°
2010-38
PARTIE A – INFORMATIONS ESSENTIELLES
1. RÉSUMÉ
Le Fonds Cheikh Moussa Kamara
(ou Shaykh Muusa Kamara) est composé de plusieurs manuscrits arabes. Rédigée
durant la période coloniale, l’œuvre de Kamara, porte surtout sur l’histoire,
l’anthropologie, la théologie et le droit. Il fut non seulement considéré comme
un grand historien de son époque et un savant réputé mais il jouissait
également d’une grande estime auprès de l’administration coloniale et de ses
compatriotes. Il reçut la légion d’honneur en 1930. Choisi comme porte-parole
de tous les marabouts de l’AOF (Afrique occidentale Française) lors de
l’inauguration de la cathédrale du Souvenir africain dans la capitale fédérale,
Dakar, en 1935, Cheikh Moussa Kamara prône l’unité des religions du Livre. Il fut
encouragé dans sa démarche d’historien et d’anthropologue par Maurice
Delafosse, Henri Gaden et d’autres africanistes.
Son œuvre littéraire monumentale, intitulée Zuhùr al-Basàtìn fì
tàrìkh al-sawàdìn (Fleurs des jardins sur l’histoire des Noirs), fut écrite
entre 1920 et 1925. Cheikh Moussa Kamara est aussi l’auteur de quelques traités axés
sur des thématiques bien déterminées, comme par exemple l’ouvrage consacré à
al-hajj Umar et Al-Majmu‘ al-Nafìs (Recueil précieux sur l’Histoire de
quelques chefs maures et peuls), le Tanqiyat al-Afhàm (Purification des
idées sur les incertitudes des préjugés). Il compte parmi ses œuvres deux
autres manuscrits, traduits et publiés respectivement en 1973 et 1976 par Amar
Samb sous les titres « L’Islam et le
christianisme » et « Condamnation
de la guerre sainte ». Ces pièces et documents illustrent tous les
aspects de la vie des princes, des paysans comme des résistants au joug colonial.
A sa mort en 1945, ses œuvres furent léguées à l’ I.F.A.N pour permettre leur
accès aux scientifiques. Ce fonds, logé au laboratoire d’islamologie, constitue
une documentation inestimable pour l’étude de l’histoire sociale et culturelle
de Sénégal et de l’Afrique de l’Ouest. Certains de ces manuscrits fournissent
des données très diverses et sont d’un grand intérêt pour l’étude de l’Islam,
de la littérature et de la rhétorique arabes ainsi que de l’histoire des idées.
De manière générale, on peut reconnaître que les œuvres de Cheikh Moussa
Kamara sont d’une valeur inestimable et
qu’à ce titre, elles transcendent les frontières temporelles et culturelles, et
devraient par conséquent être préservées pour les générations actuelles et
futures.
2. INFORMATIONS SUR L'AUTEUR DE LA PROPOSITION
2.1 Nom (personne physique ou morale)
Le Laboratoire d’Islamologie de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire
Cheikh Anta Diop (I.F.A.N-C.A.D)
2.2 Relation avec l'élément considéré du
patrimoine documentaire
Le Laboratoire d’Islamologie de l’ I.F.A.N
Cheikh Anta Diop conserve l’ensemble des manuscrits.
2.3 Personne(s) à contacter
Pr Khadim Mbacké, Chercheur et chef du Laboratoire d’Islamologie de l’ I.F.A.N Ch.A.Diop.
Dr Thierno Ka, Chercheur au Laboratoire d’Islamologie de l’ I.F.A.N Ch.A.Diop
Pr Papa Ndiaye, Directeur de l’ I.F.A.N-C.A.D
Souleymane Gaye, Conservateur et Responsable de la gestion des manuscrits du Laboratoire
d'Islamologie I.F.A.N Ch. A. DIOP
Dr Ndèye Sokhna Guèye,
Présidente du Comité national du Programme « Mémoire du monde »
2.4 Coordonnées complètes de la personne à
contacter (adresse, téléphone, fax, adresse électronique)
I.F.A.N-C.A.D, Université Cheikh Anta Diop, BP 206,
Dakar, Sénégal, Tel : (221) 33 825 98 90
Courriels : khadim.mbacke@ucad.edu.sn, thierno.ka@ucad.edu.sn, ndeye.gueye@ucad.sn, souleymane.gaye@ucad.edu.sn
3. IDENTITÉ ET DESCRIPTION DE L'ÉLÉMENT
DU PATRIMOINE DOCUMENTAIRE
DU PATRIMOINE DOCUMENTAIRE
3.1 Nom et identification de l'élément
Du nom de son auteur, le fonds Cheikh
Moussa Kamara est l’un des huit fonds du laboratoire d’Islamologie de
l’ I.F.A.N Ch.A.Diop. Le fonds est une
production littéraire variée. Constitué entre 1920 et 1943, le fonds Cheikh
Moussa Kamara est essentiellement composé de plusieurs manuscrits arabes sur
support papier. C’est le fruit du travail intellectuel d’un grand érudit
considéré comme le plus
grand historien et anthropologue de langue arabe que le Sénégal ait connu.
Composé de manuscrits arabes, ce fonds porte essentiellement sur l’histoire.
L’auteur traite également des sujets relatifs à la religion musulmane, à la
magie et à la médecine traditionnelle. La plus connue de ses œuvres, Zuhùr
al-Basàtìn, retrace surtout l’histoire du Fuuta Tooro, de la
Mauritanie et du Fuuta
Jallon. Ses écrits ont servi de base à beaucoup de travaux de recherche
comme ceux de Vincent Monteil, d’ Amar Samb, de Thierno Kâ, de Khadim Mbacké, de
Omar Kane, de David Robinson, de Jean Schmitz et de bien d’autres islamologues,
historiens et littéraires. Parmi les travaux effectués sur le fond figurent aussi le rétablissement et la
publication de deux manuscrits (la vie d' El-hadj Omar et sa guerre) par Ahmad
Chokri et Khadim Mbacké, publiés grâce à la coopération entre l' .F.A.N et
l'Institut des Études africains de l'Université Muhammad V de Rabat. Un
troisième manuscrit traitant de l'histoire des deeniyaŋkoobe a été rétabli
par les mêmes chercheurs et proposé au même Institut. Le deuxième plus
important manuscrit al-haqq al-mubin
a été traduit en partie par Moustapha Ndiaye et publié dans le bulletin B de
l' I.F.A.N. Le même manuscrit a fait l'objet d'une thèse de doctorat du 3e cycle…Par ailleurs, une équipe de chercheurs,
dont Khadim Mbacké, a traduit en français le Zuhùr pour le compte du
CNRS, une partie de ce travail a été
publiée en 1997.
3.2 Description
Constitué entre 1930 et 1943, le fonds Cheikh Moussa Kamara est
essentiellement composé de manuscrits arabes sur support papier. L’une des
pièces maîtresses de son œuvre est un ouvrage rédigé en arabe durant les
années 1920 et destiné aux administrateurs-ethnologues de son temps, notamment
Henri Gaden et Maurice Delafosse. Il s’agit de sa monumentale Histoire des
Noirs musulmans, le Zuhùr al-Basàtìn, où sont recueillies de
nombreuses traditions transcrites en arabe ou de chroniques des différents
États peuls fondés après une guerre sainte, de Sokoto, à l’est, jusqu’au Fuuta Tooro, à l’ouest.
L’auteur traite des chroniques peules, traditions historiographiques qu’on
retrouve également au Fuuta Jallon,
et des tarikh arabes. S’inspirant d’ Ibn Khaldun, Kamara propose une
histoire cyclique des dynasties peules, caractérisées par une croissance et un
déclin. L’originalité de ses œuvres se situe à plusieurs niveaux. Le premier
niveau est caractérisé par son analyse de la conquête du pouvoir au Fuuta Tooro par les marabouts Tooroßße
à la fin du XVIIIe. Le second niveau prend en charge les
rapports maîtres/disciples lors de la transmission du savoir islamique et qui
incluent les pérégrinations en vue d’étudier tel ou tel livre de grammaire ou
de théologie auprès de lettrés musulmans, la quête des savoirs secrets ainsi
que la création de foyers d’enseignement. Le troisième niveau concerne son
opposition au jihad, aux guerres civiles qui minaient le Fuuta Tooro durant cette période d’opposition à l’ordre colonial.
4. JUSTIFICATION DE LA PROPOSITION D'INSCRIPTION
SUR LE REGISTRE/ ÉVALUATION PAR RAPPORT AUX CRITÈRES DE SÉLECTION
4.1 L'authenticité est-elle établie ?
(voir 4.2.3)
Légué à l’ I.F.A.N par
Mamadou Djiby Kane, petit-fils du Cheikh, le fonds est constitué de documents manuscrits authentiques, datant de la fin du
XIXe siècle et du début
du XXe siècle, et qui
sont maintenus dans leur état originel. Il ne fait pour nous aucun doute
que les manuscrits de Kamara représentent une source documentaire unique qui
mérite d'être préservée en tant qu'élément du patrimoine culturel mondial.
4.2 L'intérêt universel et le caractère
unique et irremplaçable sont-ils établis ? (voir 4.2.4)
Le fonds est unique en son genre et n’existe nulle part ailleurs. Il est
conservé dans son intégralité au laboratoire d’islamologie. C’est une source
historique unique d’une époque particulière de l’histoire de l’humanité, une
époque où l’Islam et la culture islamique commençaient à s’imposer comme un des
plus importants systèmes de croyance dans le monde. Le fonds constitue, par
ailleurs, un patrimoine documentaire d’une richesse inestimable en termes
d’informations sur plusieurs domaines d’activités. Ces manuscrits retracent
ainsi et traitent de différents sujets : l’histoire,
l’anthropologie, les ressources, la médecine locale, etc. Les manuscrits comprennent des milliers de
pages, rien que la pièce maîtresse de ses œuvres, le Zuhùr al-Basàtìn,
comporte environ 1700 pages. Étant donné l’étendue des biens de la dotation et
leur grande valeur ainsi que le prestige du Cheikh, la collection présente un
intérêt régional et une importance universelle. De plus, les informations
fournies constituent l’histoire d’une époque caractérisée par un dynamisme
considérable et de grands changements.
Bon nombre de chercheurs se sont appuyés sur les écrits de Cheikh Moussa
Kamara pour mieux connaître l’histoire du Fuuta
Tooro et de la sous-région ouest-africaine. Maurice Delafosse lui-même, à
son époque, avait demandé la traduction du Zuhùr al-Basàtìn en français.
Cette collection de manuscrits, source inépuisable d’informations, continue
aujourd’hui d’être largement utilisée par les chercheurs sénégalais et
étrangers.
4.3 Un ou plusieurs
des critères (a) de l'époque, (b) du lieu, (c) des personnes, (d) du sujet et
du thème, (e) de la forme et du style (f) signification
sociale/spirituelle/communautaire sont-ils satisfaits ?
(a) de l'époque,
L’ensemble de l’œuvre de Cheikh Moussa Kamara a été rédigé au moment où le Sénégal était
sous la domination coloniale. Cette période de conquête coloniale a eu un
impact certain sur le vécu de l’auteur. En effet, la présence européenne,
surtout française dès le début du XVIe siècle, va bouleverser l'ensemble de la
vallée du fleuve. Sur le plan économique, le développement de la traite
atlantique avec une chasse à l'homme entraîna une permanente violence dans les
rapports entre les États. La recrudescence de la traite des esclaves jusqu'au
XVIIIe siècle plonge le Fuuta Tooro
dans l'insécurité et la guerre civile (révolution Tooroodo). En opposition à ce commerce favorisé par la dynastie deeniyaŋke, une révolution musulmane
dirigée par les Tooroßße
(c'est-à-dire ceux qui prient) éclate à la deuxième moitié du XVIIIe siècle (O.
Kane, 1986 ; B. Barry, 1988 : 155). Ces Tooroßße
destituant en 1776 le Satigui deeniyaŋke (titre, d'origine soninke, pris par les dirigeants peul deeniyaŋke)
instaurent le régime de l'almamiyat
(qui vient de l'arabe Al imam, celui
qui dirige la prière). Ils créent une théocratie musulmane et sont désormais à
la tête de la hiérarchie sociale. Le régime a duré jusqu'à l'annexion du Fuuta Tooro par la France en 1881.
Avec l’abolition
de l’esclavage dès 1848, l'impérialisme français va donc se traduire dans la
vallée du fleuve Sénégal par les tentatives avortées de colonisation agricole
de 1813 à 1831, expérience qui échoua avec l'opposition des chefs du Fuuta Tooro et des Maures. Ces derniers,
défavorisés par cette colonisation agricole, ont créé une situation
d'insécurité et entraîné une brève reprise de la traite des esclaves et du
commerce atlantique.
Cette ingérence ne
s'est pas effectuée sans heurts car elle a fait l'objet de quelques résistances
d'islamistes qui furent matées par des expéditions punitives de la colonie du
Sénégal. Ces guerres sont accompagnées de calamités naturelles comme la
sécheresse avec ses cortèges de famine et de disettes. Aux exactions des
tenants du pouvoir qui exigent vivres et bétail aux populations, s'ajoutent
celles de la colonie française du Sénégal, établie à Saint-Louis. Elle
dépossédait les populations de leurs récoltes, de leurs troupeaux, incendiant
les villages, déjà ravagés par les épidémies.
C'est dans ce
climat de guerres et d'insécurité quasi permanent qu’a vécu Cheikh Moussa
Kamara qui s’opposait à cette violence. Son opposition au Jihad et aux guerres,
il la traduit dans un de ses écrits, en ces termes : « La plupart de ceux qui ont fait la guerre
sainte après notre prophète ne font que de l’ostentation et ne s’occupent pas
des gens qui meurent dans la guerre sainte » (I.F.A.N, cahier 15 édité et
traduit par Amar Samb, 1976).
(b) du lieu
Cheikh Moussa Kamara résidait à Ganguel dans le Fuuta Tooro, au nord du Sénégal. Cependant l’auteur s’est beaucoup
déplacé, notamment dans le Haut Sénégal/Niger, en Mauritanie et au Fuuta Jallon à la quête du savoir. Ses
récits retracent les lieux et itinéraires de ses différentes pérégrinations à
l’intérieur de l’Afrique de l’ouest.
(c) des personnes
L’œuvre principale, le Zuhùr al-Basàtìn, est émaillée d’histoires de
personnages charismatiques. Ces écrits sont évidemment d’une importance primordiale
pour notre connaissance de la vie et de l’œuvre des dynasties peules, des
paysans, des marabouts ou des résistants à la colonisation française. L’auteur a tissé des liens avec les
administrateurs coloniaux comme Henri Gaden, de Lamotte, Ballay, avec les
africanistes de renom tels Robert Arnaud, Maurice Delafosse, Paul Marty,
Mariani. Faisaient aussi partie de ses amis les députés du Sénégal, Blaise
Diagne, Ngalandou Diouf, quelques Almamy de la Guinée, le Cheikh Sadd Bouh
et beaucoup de ses compatriotes, juristes, philologues, grammairiens ou
écrivains de talent.
(d) du sujet et du thème
Entreprise originale, les écrits de Kamara fournissent des informations de
première main dans les domaines de
l’histoire, du droit musulman, de l’anthropologie, de la théologie, de la
médecine traditionnelle et de la magie. Outre des informations sur
les dynasties peules du Fuuta et tout
ce qui s’y rapporte, les manuscrits renferment des indications sur la gestion
des terres, sur la paysannerie ainsi que sur des sujets aussi variés que
l’astronomie ou la zoologie. L’auteur propose un regard local et africain sur
l’histoire de son pays et de la sous-région.
(e) de la forme et du style
L’ensemble des œuvres est manuscrit. Le
style est comparable à celui des Tarikh soudanais (XVI-XVIIe siècles), du Tarikh
as-Sudan d’ Abderrahman as-Sa`di et du Tarikh al-fettash de Mahmud
Kati. Autrement ces auteurs s’intéressaient aux histoires dynastiques et
régionales, aux biographies, aux généalogies et offraient en même temps des
renseignements d’ordre économique, religieux, social ou géographique. Le style
de Kamara rappelle aussi la manière d’écrire l’histoire d’ Ibn Khaldun qui
focalise son analyse en présentant une succession de dynasties locales, à
l’intérieur desquelles il propose des informations sur tels événements
religieux, militaire, économique, voire zoologique ou astrologique.
(f) signification
sociale/spirituelle/communautaire sont-ils satisfaits ?
Ces
manuscrits sont une source unique de l’histoire du Fuuta Tooro et de l’Afrique de l’Ouest. De nombreux documents
fournissent des informations essentielles sur l’organisation sociale, la
situation des gens du commun, la situation foncière, la culture islamique, le
christianisme, etc. Cette source
documentaire a permis à beaucoup de chercheurs d’écrire sur des événements, des
sentiments, des attitudes et des façons de vivre des personnes qui ont été
oubliées de l'histoire, et d’avoir une relecture plus précise des pans
essentiels du passé ouest-africain.
4.4 Des problèmes de rareté,
d'intégrité, de menace et de gestion sont-ils associés à l'élément
considéré ?
Les manuscrits de Cheikh Moussa Kamara, conservés au Laboratoire
d’Islamologie de l’I.F.A.N Ch. A. Diop,
sont uniques et constituent une mine d’informations pour les historiens,
théologiens et universitaires littéraires et ethnolinguistiques. Nulle part ailleurs on ne trouve une production de
savoirs aussi complets sur le Fuuta Tooro
en particulier et sur l’Afrique de l’ouest en général. Cependant cet héritage
culturel commence à se détériorer et certaines
écritures commencent à devenir illisibles; les manuscrits étant de plus maniés
sans soin.
5. INFORMATION
JURIDIQUE
5.1 Propriétaire de l'élément du patrimoine
documentaire (nom et coordonnées complètes)
L’IFAN est chargé de la
conservation au profit de la recherche.
5.2 Dépositaire de l'élément du patrimoine
documentaire (nom et coordonnées complètes, si le dépositaire n'est pas le
propriétaire)
L’Institut Fondamental
d’Afrique Noire Cheikh Anta Diop
5.3 Statut juridique :
(a) Régime de propriété
Depuis le legs du fond Cheikh
Moussa Kamara à l’ I.FA.N, l’intégralité
des manuscrits est propriété publique de cette institution.
(b) Accessibilité
Le fond documentaire est accessible au public dans la salle de lecture du laboratoire d’Islamologie pour
consultation, pour des recherches ou à des fins officielles dans le respect des
règles d’accès aux collections spéciales.
(c) Droit d'auteur
L’intégralité du fond documentaire et le
droit d’auteur appartiennent à l’ I.F.A.N Cheikh Anta Diop.
(d)
Administration responsable
Le laboratoire d’Islamologie est
responsable du fond documentaire.
(e) Autres éléments
6. PLAN DE GESTION
6.1 Existe-t-il un plan de
gestion de l'élément du patrimoine documentaire ? NON
Le fonds Cheikh Moussa Kamara dispose d’un cadre de classement. Il est
répertorié dans un catalogue. L’état de conservation des manuscrits est moyen. Conservés dans des casiers
métalliques, ces manuscrits sont dans un état d’extrême vulnérabilité et ont un
besoin urgent d’être restaurés et préservés afin de pouvoir être manipulés sans
risques de détérioration. D’une extrême fragilité, les feuillets commencent à
jaunir et à être, touchés par la poussière et l’humidité. Sur l’ensemble des manuscrits, certains présentent
des détériorations dues à la manipulation. La salle de conservation dispose,
néanmoins, de l’air conditionné. Des initiatives sont envisagées pour rendre le fond
plus accessible et le protéger des catastrophes et de la dégradation liée à la
consultation (numérisation de la totalité des documents).
7. CONSULTATION
7.1 Rendre compte de la consultation
(a) du propriétaire du
patrimoine ;
L’ I.F.A.N Cheikh Anta Diop est le
propriétaire du fond documentaire.
b) du dépositaire ;
Le dépositaire est représenté par
le laboratoire d’Islamologie de l’.I.F.A.N Cheikh Anta Diop.
(c) de votre comité national ou
régional de la Mémoire
du monde au sujet de la proposition d'inscription :
Un Comité national du
programme "Mémoire du monde" a été créé sous les auspices du
Ministère de l’Enseignement élémentaire, secondaire et des langues nationales.
Dans ce comité, sont représentés tous les grands centres du Sénégal
dépositaires de documents présentant un intérêt historique ou ayant une
importance nationale, régionale ou internationale. La sélection et la
proposition d'inscription ont été effectuées par les membres du Comité national
du programme "Mémoire du Monde".
PARTIE B – INFORMATIONS
COMPLÉMENTAIRES
8 ÉVALUATION DES RISQUES
8.1 Préciser la nature et l'étendue des menaces
auxquelles l'élément du patrimoine documentaire est exposé (voir 5.5)
Ce trésor national n’est pas protégé contre les dommages de l’humidité, de
la poussière et des insectes. Les pièces portent des traces de détérioration et
quelques écritures commencent à disparaître. La proximité de la mer suscite
quelques inquiétudes dues à l’humidité. Le laboratoire bénéficie du système de
surveillance assurant la sécurité jour et nuit avec la garde de l’ensemble du
bâtiment de l’ I.F.A.N.
9 ÉVALUATION DE LA CONSERVATION
9.1 Donner des précisions sur les conditions
de conservation de l'élément du patrimoine documentaire
L'état actuel de préservation du fond documentaire est loin d’être
satisfaisant. En raison du manque de
ressources financières, les manuscrits sont conservés dans des casiers
métalliques dans une seule pièce, équipée d’une climatisation. Les
conditions de température, d'humidité et de qualité de l'air ne sont pas
optimales pour une meilleure préservation de ces éléments importants du
patrimoine culturel et documentaire.
Cheikh
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