samedi 20 juillet 2013

Le système agricole sénégalais : La détresse des paysans sénégalais

Le système agricole sénégalais : La détresse des paysans sénégalaisly 2013.
(Contribution du Pr. Arona Coumba Ndoffene Diouf, Double Major PhD
Ministre, Conseiller Spécial auprès de SEM Macky Sall)

L’agriculture sénégalaise, qui représente environ 20 % du PIB et emploie 60 % de la population active et une proportion importante des recettes d’exportations, revêt une importance capitale pour les perspectives de développement du Sénégal. Avec quatre cinquièmes des ménages pauvres vivant dans les zones rurales, aucune stratégie de réduction de la pauvreté ne peut atteindre son objectif sans accorder une place importante au développement rural et à l’agriculture. Malgré tout, pendant 60 ans, l’évolution de la production a été décevante. Les politiques agricoles des gouvernements successifs se sont révélées inadéquates. Très peu d’efforts ont été consentis pour le développement des zones rurales, encore moins l’élaboration de programmes novateurs en vue d’étudier les questions agricoles et de mesurer les besoins pressants en technologies nouvelles.
Comment en sommes nous arrivés là ?
La crise agricole du Sénégal date de l’ère coloniale. À la fin du XIXe siècle, l’introduction de la production de masse d’arachide, de mil et de sorgho a permis aux colons de générer beaucoup de recettes. Afin de mieux contrôler la production considérable de l’agriculture, notamment le stockage et la vente,  le Gouverneur Roger a créé de nouvelles organisations agricoles dont les Sociétés indigènes de prévoyance (SIP) et les Centres d’expansion rurale (CER), qui entraient directement en concurrence avec la Chambre de Commerce française. Avec la complicité des libanais, l’administration coloniale a délibérément mis en oeuvre des mécanismes leur permettant de limiter la participation des paysans à la traite de l’arachide. Les célèbres sociétés commerciales telles que Buhan&Teisseire, Deves&Chaumet, Maurel&Prom détenaient le monopole dans des secteurs comme le transport et l’octroi de crédit, et importaient des articles comme le tissu, le riz asiatique et des espèces utilisées pour acheter la récolte des paysans. Ce négoce générait des milliards de francs au profit des colons qui freinaient toute tendance susceptible d’œuvrer pour la nationalisation du commerce colonial (Amin, 1969). Plusieurs rapports ont dénoncé les pratiques déloyales auxquelles s’étaient livrés les Libanais et certains hommes d’affaires sénégalais dont la plupart étaient des commerçants titulaires de licences, qui jouaient le rôle d’intermédiaire entre les sociétés commerciales et les paysans. Le secteur agricole était le théâtre de spéculations financières pour les colons ainsi que pour les commerçants libanais  « intermédiaires » corrompus. Le résultat était désastreux et ce fut le début de l’effondrement de l’agriculture au Sénégal, qui depuis, n’est jamais revenu à la normale.
Les gouvernements successifs post-independence : Une série d’échecs de programmes agricoles défaillants
Au début des années 60, le premier Président sénégalais, Léopold Sédar Senghor mit sur pied les centres d’expansion rurale polyvalents (CERP) pour réguler les services et la production des cultivateurs. Ensuite, il créa un nouveau bureau  nommé Office pour la commercialisation de l’agriculture (OCA) qui était chargé de coordonner la production et la commercialisation des produits agricoles soutenu par  une autre structure appelée Centre régional d’assistance au développement (CRAD) qui servait d’intermédiaire entre les cultivateurs et les responsables administratifs. La Banque nationale pour le développement du Sénégal (BNDS) fut créée en vue de promouvoir et d’appuyer le « programme agricole » de Senghor en octroyant aux paysans des liquidités pour acheter des semences, du matériel, et de l’engrais. Progressivement, Senghor supprima le système agricole colonial, mais seulement pour le remplaçer par un autre système jumeau dont la principlae mission était l’exploitation des paysans sénégalais.
En 1966, Senghor mit sur pied une nouvelle agence, l’Office national de coopération et d’assistance pour le développement (ONCAD) à qui était assigné la mission d’exécuter la double tâche de l’OCA et du CRAD. En realité, l’Oncad n’était qu’un prolongement du système de commercialisation colonial, sa reproduction parfaite et plus élaborée. Cette organisation était composée d’associations de corrompus et de voleurs de la pire espèce que le Sénégal ait jamais connue dans son histoire. C’était également un cadre idéal dans lequel les militants du parti socialiste au pouvoir pouvaient s’enrichir. Beaucoup d’observateurs tiennent les administrateurs PS de l’Oncad, à travers leur mode de vie, responsables des détournements de plusieurs milliers de milliards de francs CFA. Les conséquences ont été néfastes pour le monde rural car nos malheureux paysans ont été obligés de convenir à des baisses répétitives des prix de l’arachide, surtout pendant les périodes de sécheresse chronique. L’incapacité du gouvernement de Senghor à initier les paysans au crédit sur défaillance devenait récurrente et les crédits agricoles aboutissaient toujours à « l’effacement », dont il se servait à des fins politiciennes. Selon la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, (BCEAO), en 1972, 70 % des crédits de semences et 60 % des crédits d’équipement et d’engrais n’ont pas été remboursés. En 1973, les paysans ne sont pas parvenus à rembourser 52 % de leurs crédits de semences et 46 % des autres crédits qui leur ont été accordés. Une étude de la Banque Mondiale  a fait état d’une baisse annuelle de la production agricole sénégalaise de 2,1 % jusqu’en 1970 et une baisse constante de 15,6 % sous le régime de Senghor. Des experts du FMI ont avoué, dans leur Rapport annuel de 1978, que beaucoup de réformes prises par Senghor étaient irréalistes et allaient à l’encontre des intérêts des paysans sénégalais.
Lorsque Diouf a accédé au pouvoir, il ne réussit pas non plus à améliorer le secteur agricole sénégalais qui était déjà en déclin. En 1980, Diouf dissout l’Oncad pour le remplacer par la Sonacos, une entreprise semi-privée, qui acquit la tache d’assurer la supervision de la campagne de commercialisation de l’arachide en collaboration avec les coopératives agricoles. Ensuite, il mit en place une autre structure chargée de gérer toutes les activités de distribution : la Société nationale d’approvisionnement du monde rural (Sonar). Le rôle de la Sonar était principalement orienté vers le programme de crédit et la mise en place des moyens nécessaires au financement des activités de distribution. Dans sa mise en œuvre, ce programme ne fut qu’un duplicata d’un autre distributeur, la Société nationale d’approvisionnement en graines (Sonagraines). Il devint extrêmement difficile d’avoir accès au crédit et les prix des semences certifiées flambèrent. Il était d’autant plus difficile et compliqué pour les paysans de remplir les conditions d’obtention de crédits dont seuls les « paysans socialistes » avaient le monopole. Les transactions retorses devinrent rapidement routinières. La Sonagraines se mit à vendre de plus en plus de semences à crédit aux paysans PS dans le but de les récompenser pour leur soutien lors des élections. Le gouvernement de Diouf autorisa la Sonagraines à vendre toutes ses semences à crédit aux paysans PS sans versement d’acompte. Les résultats furent catastrophiques.  La moitié des crédits n’a même pas été remboursée et la plus grande partie des semences certifiées invendues a été bradée aux sociétés de transformation d’huile.
En 1981, dans le cadre de sa Nouvelle Politique agricole, Diouf a spécieusement distribué des crédits de semences à chaque adulte ayant acquitté l’impôt de capitation annuel. Les semences étaient absurdement réparties à raison de 100 kilogrammes par homme contribuable et 50 kilogrammes par femme contribuable. Le chef de ménage qui payait ses taxes était en général celui qui recevait des semences, lesquelles étaient distribuées par des coopératives publiques dirigées par des militants du Parti Socialiste. L’augmentation du nombre de défauts de paiement laissait cependant à penser que, pendant qu’ils se livraient au chantage politicien et à l’usurpation de biens publics, les dirigeants du PS n’ont eu aucun souci lorsqu’il s’agit du remboursement des dettes financières contractées par les paysans PS. L’instauration d’une subvention à l’industrie – par exemple, la Société industrielle des engrais du Sénégal (SIES) afin de stimuler la production et d’assurer une couverture contre l’inflation des cours mondiaux des engrais chimiques – s’est révélée inefficace pour les sauver. Réciproquement, la dépendance du pays par rapport aux importations de produits alimentaires a accru malgré la creation d’un autre plan d’ajustement structurel mis en oeuvre par la Société de développement et de la vulgarisation agricole (Sodeva) qui lui aussi n’ avait pas réussi à avoir l’impact escompté sur la performance économique de Diouf (source : Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE], 1985, page 13).
En 1985, dans le but d’accroître l’implication du secteur privé dans la commercialisation des récoltes, Diouf a autorisé un nombre limité d’opérateurs économiques (Organismes privés de stockeurs), d’acheter l’arachide directement auprès des paysans. C’était de la pure moquerie aux yeux de certains experts. Les conséquences ne se firent pas attendre. En 1986, les prix de gros de l’arachide ont augmenté de 60 à 90 francs le kilogramme faisant ainsi chuter les prix à l’exportation. En 1990, suite à une subvention improvisée pour une durée de trois ans, le gouvernement établit à 70 francs le kilogramme de l’arachide afin de le rendre plus compétitive sur le marché international. Diouf créa encore une nouvelle structure, le Commissariat à la sécurité alimentaire (CSA), avec comme mission de garantir des stocks d’urgences de céréales et de réguler les prix sur le marché lorsqu’il existait une trop grande différence entre les prix minimum et maximum conseillés. Sans moyens idoine pour lui permettre une régulation efficiente du marché, le CSA ne fut qu’une fois de plus un autre echec de Diouf (source : Newman, Ndoye et Sow, 1985). Devant ce désastre, Diouf, sans se lasser de ses defaillances, mit en place le Projet autonome semencier (PAS) dans le but de soutenir la Sonagraines. Le PAS a montré beaucoup plus d’habilité que son aînée à recouvrer ses créances, mais, de nouveau sous les pressions du lobby PS, elle a été obligée d’« échanger » la totalité de son stock à crédit contre des voix électorales.
Au début des années 90, les crédits publics de semences ont été interrompus et le Programme agricole de Diouf complètement abandonné et remplacé par une retenue à la source en attendant la mise en place d’un nouveau programme. En juin 1994, l’inlassable Diouf a instauré un autre programme de développement agricole visant à déterminer le cadre et les objectifs relatifs à la stratégie macroéconomique proposée dans le contexte de la dévaluation du Franc CFA. Ce document stratégique, modifié en avril 1995, a servi de point de départ à une autre série de réformes connue sous le nom de Programme d’ajustement structural agricole qui était appuyé par le Crédit pour l’ajustement du secteur agricole (CASA) avec le soutien de plusieurs bailleurs, dont la Banque mondiale, l’Agence française de développement, l’Union européenne et l’USAID. Toutes ces réformes agricoles ont échoué tout simplement parce qu’elles n’ont pas réussi à produire les résultats escomptés.
Des observateurs étrangers ont classé le Sénégal parmi les pays importateurs nets de produits alimentaires qui sont constamment bouleversés par des incertitudes extérieures ou locales. De 1985 à 1994, la valeur totale des importations agricoles, qui comptaient pour 25 % des importations totales de produits, est passée de 244 à 352 millions de dollars en dehors des fluctuations régulières. Cette tendance à la hausse s’est poursuivie dans les années suivantes. Les importations moyennes nettes (342 millions de dollars) ont atteint, durant la période 1995-2000, une valeur de 87 % plus élevée que celle de la période 1990-1994 et 7 % plus élevée que la valeur extrapolée. La valeur moyenne des importations agricoles nettes était de 86 % plus élevée durant la période p que durant la période allant de 1990 à 1994 et de 11 % plus élevée que la valeur extrapolée. En outre, Diouf a instauré un droit de timbre de 3 %, ce qui fit croître le taux moyen statutaire du total des taxes à l’importation qui avait été réduit, jusqu’à 90 %, passant de 98 % en 1986 à 68 % (PNUD/Banque mondiale, 1992).
La seule innovation des mesures prises par Diouf au milieu des années 90 a été de renforcer la compétitivité des divers secteurs tout en atténuant les problèmes survenus à l’issue de la dévaluation du franc CFA et en appuyant les réformes déjà entamées avec les donateurs (MEFP, 1996). La seconde séquence a encouragé la libéralisation des prix, les réformes institutionnelles, la restructuration de certaines industries (privatisation, etc.) afin d’obtenir plus d’efficacité dans des secteurs comme le riz, le coton, l’arachide et l’élevage. La réforme a également porté sur une plus grande implication des coopératives agricoles et du secteur privé dans les activités menées jusqu’à présent par le secteur public.
Beaucoup d’experts d’institutions internationales attribuent l’échec du secteur agricole sénégalais aux innombrables réformes élaborées à travers la mise en place des gouvernements successifs de Senghor et Diouf qui n’ont pu transcender de façon scientifique la croissance de la productivité agricole, la production alimentaire locale et la diversification de la production et des exportations agricoles par la promotion de nouvelles cultures et la transformation des matières premières. Un rapport de l’IDEO (Initiative de développement et de diversification économique pour l’Ouest)  explique cet echec par « l’absence de vision durable et des reformes qui n’ont pas tenu en compte la recherche d’infrastructures rurales, l’encadrement des paysans par l’accès aux services ruraux de base tels que le crédit en intrants et à l’eau potable, mais surtout de l’existence de gouvernements trop bureaucratiques y compris des conditions climatiques défavorables avec les années successives de sécheresse aiguë.
(A suivre les programmes agricoles de Wade et de Sall …)
Pr. Arona Coumba Ndoffene Diouf, Double Major PhD
Ministre, Conseiller Spécial auprès de SEM Macky Sall

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