« Je
suis un exilé sans problèmes d’immigration. Mes papiers, je les porte sur la
gueule. C’est un privilège, et j’en suis conscient », Léo Ferré (Lire Le Monde, Hors-Série, juillet-août
2013).
Gorko
mo :
« Cilbee Mbaañ, cile e leydi Hammadi
Hammadi Kundo e Dewa Kundo e Paate Kundo
Cuudi
tati, gabi tati
Wooturu waaldi saayna to joobbe Mbaañ
Doon woni Cile do yibbe e yiiwoole
Do yiiwata jamma, bewlaali weetndoogo
Do yiwi wuubii e daande maayo
Tufnde Buyel mukdaad
Cilbe Kaayel jeeri hodi e waalo jiimi e ceene
Luggere fudnaange, Luggere hiirnaange
Do Dundu mawndu wadi maakaa e ngorel daande maayo worgo
Wuro laamorgo Mammadu Sukeyni ganndaado hanki e Fuuta. » (pp. 3-4).
Mamadou Samba Diop, murtudo muurteende mawnde nde alaa parallèle hande. Saalaaw o ?urtaani o
murtu comme l’indigné Stephen Hessel, pour comparer. Wullango Boolumbal me bouleverse dans son verbe Pulaar, ses rimes
si riches et son rythme cavalier. Enfin je veux dire qu’en lisant Murtudo,
j’entends les sabots des chevaux, l’éclat des épées souillées de sang ennemi et
le cri strident du guerrier intrépide qui transperce sa victime. Mamadou Samba
Diop murtudo haa yeeso
« Maayde » titre de l’un de ses poèmes qui s’ouvre comme suit :
« So mi wirtimaa
genaale ;
Mi miijoo be ceerti e penaale
Kala joobinoodo ko moyyi ma o male
Aala ko hiisetee so wonaa golle. » (p. 42).
Wullango
Boolumbal
porte une partie de golle ma…
Murtudo fait partie de ceux qui ont
permis de faire comprendre au « renndo
fulbe wonde bawdi ndimaagu ndillirta tan ko pinal e ganndal. Ko duum wadi
Murtudo jabi waasande lenol mum cellal e nguurirka to bannge laamu, ko aldaa e
simmitaare, eete hay gonngol o siimtinaani tuma nde o simmminaa mette de
cammitaaka ko foti no emmbere » (« Konngol ARED », in Wullango Boolumbal, ARED, hitaande 2002,
p. 4).
Lui, donc, transperçait avec sa plume
plongée au fond de sa conviction et surtout puisant son inspiration dans la lie
de cette humilité si légendaire qu’il nous laisse en héritage. Quel
homme ! C’est un exemple ! Merci Murtudo !
Wullango
Boolumbal
coule comme une eau limpide entre roches blanches, rouges et
basaltiques. Quel
homme ! Quelle autre parole si chargée, rythmée et bien cadencée, pour
que
l’armée avance vers le combat et l’ultime d’entre eux, peut rendre preux
tout
peureux ? Oses-tu me dire que cet homme, que j’ai connu de si près,
était
méchant et que la guerre l’enchantait ? Non Wullango Boolumbal est
témoin d’une densité et d’une vision presqueprophétique que chaque
communauté
humaine doit préserver chez elle en refusant d’admettre de se démettre
de son
« neddaagal » pour ne pas
dire son ultime « ndimaagu ».
N’est pas poète murtudo qui le veut ! Murtudo est un poète dans le sens
profond que j’entends faire dire à la poésie dans ce texte-hommage à ce grand
sage. La poésie est pour moi le summum du texte fini, infini et donc toujours
contemporain de toutes les époques. Elle est intemporelle. Elle hache les mots,
les isole et les pare de rythme qui cache toute la force philosophique de celui
qui la déclame. C’est cela le rythme du cœur de l’auteur qui reste vivant tout
le temps ! Murtudo, murtu haa aljana
sa yiddi ! Ta philosophie (ene luggidi) est encore là et sera
toujours là après nous. Quel homme ! Il était sans âge.
Tout vers chez lui est une lance
brûlante. Sa rime marque la détermination dans le combat, sans repos.
Elles
font tomber tous les vers, de la pomme, dans une transe incroyable.
Murtudo est
un poète ? C’est un chanteur ? C’est un troubadour te diront ceux qui
sont hors et dans le décor de son texte, et qui ne perçoivent pas le
sens réel
de son humilité qui le fait ressembler à un égaré. Eh bien, devant les
avatars
de la vie, il est peu de gens qui s’attachent à sa face luisante. Il en
fait
partie, s’il n’en est pas le maître. Donc, l’humilité du murtudo,
Murtudo, fonde son sens du yurmeende mais aussi cette demande insistante
de se lever de
soi-même (ha?taade). C’est
extraordinaire que notre combattant, poète, philosophe, humoriste/jovial
invétéré qui cavale avec les concepts les plus profonds et les plus
combattifs
de cette langue Pulaar qu’il maîtrise.
Dans sa bouche, le Pulaar voltige et le
contenu des salles repart le cœur, sur le point d’éclater, parce que si gonflé
de philosophie. Murtudo aan tey murti, murtini haa heddi (hedii). Hol palotoodo ilam maa ?Personne
ne peut barrer la route à ta poésie si pleine et si engagée comme un vrai waame. Elle vibre et irrigue les veines
des preux parmi les sagataa?e. Elle
dit ceci dans « Haayoo Pulaar » :
« Ko min roondii?e donngal Pulaar, min pahataa,
Do ngal hatojinaa fof, min nawat min pukkata,
Ko min konunkoo?e ?e ?erde taktake de
kulataa,
Ha?antee?e Pulaar be tampataa, pooftataa » (p. 70).
De vous-mêmes, vous avez senti ce rythme
soutenu (presque ripaango walla digaango !),
mais qui nous interdit toute possibilité de nous plaindre d’un quelconque
essoufflement qui peut bien figurer la fuite et la peur. Ah oui Murtudo est un
vrai murtudo quand il dit « min pahataa ». Quelle autre sentence
peut mieux nous convier à la poursuite du combat haa laakara ? Aan tey murti Murtudo ! Donc
interdiction d’essoufflement (« tampataa »)
et pas de repos possible (« pooftataa »).
Aïe Murtudo, le combat est donc si dur et si long avant la découverte de la
saveur de ses fruits ? Tu nous l’as démontré encore une fois en entamant
le voyage éternel avant nous et nous sommes donc tes héritiers. Murtudo, au
Paradis, murtu kaadi murteende. Miin wii !
Car tu nous donnes la recette de cette endurance dans le combat, en nous
exhortant à conserver l’un des piliers de notre raison de vivre : notre
langue, en ayant des « ?erde taktake
de kulataa ».
Oh maître de la parole profonde tu nous
manques tant ! Mais Wullango
Boolumbal restera au chevet de tout veilleur. Ce n’est pas un livre de
contes et de devinettes, mais un programme. Bataakema
yettiima Murtudo !
Quel homme ! Il faut toujours aller
chercher là où la générosité intellectuelle et combative prospère pour y puiser
notre courage. Elle se cache en se livrant dans les œuvres littéraires écrites
dans nos langues nationales. Wullango
Boolumbal en est un excellent exemple. Qui me soupçonnait de grande
sympathie pour Murtudo et ses noddaali,
gullaali e luukaali haa daande saadi ne doit plus douter de mon alignement.
Comment donc ne pas croire aux appels de Murtudo ? Un révolté ! Ah
oui, un révolté jusqu’à la dernière demeure. Lis son poème « Habay ! »
Quand j’ai lu le titre « Habay ! » avec l’exclamation qui le
rehausse, j’ai senti mes épaules s’élever d’elles-mêmes. Parce que « habay ! » s’accompagne d’un
geste qui signifie un vigoureux et irrévocable refus. Ah oui, mais « habay ! » haa womnde… Vraiment Murtudo ko
murtudo quand même. Haay gombal !
« Habay ! » et rien d’autre ! Mais un refus est un refus,
c’est aussi simple que niet.
Chantons en chœurs, après Murtudo :
« Leydi
mahiinde e fenannde e tooñannge deeyataa ;
Mawdo
leydi gooñiido, laamu mum yuumtataa ;
Badoowo
ko boni ubbira penaale, mo nimsataa;
Canndolindo kurmudo, cayaado mo yurmataa ;
Fecci leydi, sari ?esngu mum, hunii
be ndentataa ;
Wammbi demngal mum, yabbi de janane, waati de
potataa ;
Burni lenol mum, so wonaa kanngol moyyere haandatataa;
Innitorii Lislaam, ñaayiri golle de peertudo
wadataa ;
Deeli yiiyam, teeti jawdeele, wi’i o iddataa;
Yaltini leydi be mbonaani, wi’i o artirtaa;
Oon yiiyiyo, dewdo e mum, diine mum sellataa;
Dankaro, muddiddo, muukiido, mo faamataa;
Manndillo Yiiyam, takkido e mum laa?ataa. » (p.
28).
Ouf,
je suis entre le rire fou de celui qui entre dans le sens profond des mots et
la larme de celui qui est frappé par leur brillance. Incroyable ce « ataa » qui rime ce poème où on sent
Murtudo sur un coursier omo soppa leskoyee des ennemis de l’Homme. Parce
que tout simplement Murtudo, tout en
restant ancré dans sa profonde et indicible fulanité, est un Homme et défend à
travers cet Homme brimé l’Homme tout court. Comment d’ailleurs peut-il en être
autrement sauf si les analystes du discours portent leurs propres œillères pour
y voir le simple cri d’un haalpulaar murtudo.
Non Murtudo poétise, philosophe sur l’Homme ancré dans sa culture, veilleur et
surtout transmetteur de cette valeur intrinsèque qui fait vivre toutes les
cultures du monde. Wullango Boolumbal va
au-delà de ce cercle restreint de l’étroitesse ethnique, régionale et
linguistique. Wullango Boolumbal est
une ode à la reconnaissance de la différence et surtout à sa préservation dans
un environnement plus sein que celui de « Leydi
mahiindi e fenaande ».
Comment s’étonner de la longueur et de
la luisance de l’éperon de Murtudo ? Son cheval doit bien foncer, les
jarrets en l’air. Là « Jaambaraagal » me revient à l’esprit. Ce poème
est un soldat couché en vers sublimes et ré-vivificateurs.
Suivez :
« Ñande fitina rummbini leydi maa,
Maslahaa
ronkaa, lorli jibinande maa,
Rippu
e gi’e, ada ?oori pade maa,
Yuwto,
tokkit labi, cettal, juulaawi maa,
Yollo sumalle ñomoko, fertina terde maa,
?aañoroo sammunde
ngulnaa ?anndu maa,
Falko
sanngalde, kul?ina gano maa. » (p. 22).
Vraiment là, Murtudo ko murtudo trop même, et trop
même je
dis bien. Je vous jure que j’ai ri comme un fou la première fois que
j’ai lu
ses vers. J’en ris là à l’instant alors qu’il fait tard le soir. Les
voisins du
palier doivent se dire ce monsieur doit être un peu dérangé. Eh bien, je
suis
trop dérangé même, par Murtudo quand il décrit ce que doit être un vrai
soldat,
celui qui combat pour la sauvegarde et surtout le respect de son essence
humaine. C’est incroyable !
Sur chaque vers, dans chaque mot je vois la bravoure et la preuve
supplémentaire que la poésie est un trésor. Murtudo crée ici un soldat
véritable monstre « Falko sanngalde,
kul?ina gaño maa. » ! Wallaay
Murtudo ko murtudo haa abadaa. Oui,
il est dans la postérité que consacre sa longue et douloureuse lutte.
Elle fut
très douloureuse, car lui-même le décline en ordonnant au
soldat-monstre,
que lui-même s’imagine au devant du combat, « Rippu e gi’e, ada ?oori
pade maa ». J’étais fou d’un rire, non-rire, un rire qui détermine la
réalité de mon alignement à la profondeur philosophique et pratique de
ce murtudo. L’entraînement militaire dans
toute sa rigueur y est décliné. Superbe marche et cadence de tous ces
tooñaa?e, dumbaa?e, fellaa?e, heydinaa?e jusqu’à deportaaa?e ! Une seule
et même troupe chantant « Maw?e Fuuta?koo?e »
(pp. 94-102).
Nguurtinen’moen
rendant compte de la densité enfouie dans ces poèmes qu’il nous laisse comme l’une
des multiples traces, indélébiles, de son dévouement pour la cause Humaine en
Mauritanie. Et pour vous en convaincre lisez le poème « Leydi
am ! » (p. 51).
NB : Nos jeunes futurs sémioticiens,
linguistes, littéraires, philosophes, historiens, politiciens et tous nos
rhéteurs peuvent puiser dans ce Wullango
Boolumbal l’un des sons qui déterminent sa musicalité philosophique et qui
les intéressent pour la construction de leur propre discours.
Bibliographie
Mammadu
Sammba Joob (Lollirdo Murtudo) 2002, Wullango
Boolumbal, Ndakaaru, ARED, 111 p.
Abdarahmane NGAÏDÉ (Bassel),
UCAD/IEA de Nantes
* Prendre décharge dans le sens électrique du terme (kaayel manaango), et dans ce qu’elle concentre comme ions positifs
qui figent, mortellement, l’électrocuté. En fait, c’est ce
Z que
Zorro laisse, comme
signature, sur le corps de ses victimes ou sur la surface de tous les
lieux
qu’il visite pour rétablir la justice. C’est dire, donc, que la poésie
de
Murtudo est un torrent (yiriinde, paali
ene putaa), un court-circuit (peete
pettooje) qui emportent, avec eux, toute l’amertume que cause le fait
d’être profondément patriote malgré l’appartenance à un « Leydi mahiinde
e fenannde e tooñannge ».Je m’excuse auprès de tous ceux, d’entre vous,
qui ne comprennent pas le Francfulde parce que je ne maîtrise pas
la traduction de cette langue qui doit être, prochainement, reconnue par
l’Institut des Langues Nationales.
L'auteur Hamadi DIOP